III. Vers une typologie pour saisir la diversité des modalités territoriales des pratiques pèlerines :

Strates pèlerines, degré d’audience, aire de recrutement, autant de modalités pour classifier les pèlerinages. A ces typologies justifiées, s’ajoute une dernière, chronologique. Elle se fonde sur les origines des sanctuaires, reflétant les temps, souvent charnières, dans l’histoire de l’Eglise. Tout cela concourt à des territoires et réseaux pèlerins différents et multiples.

C’est en combinant les critères de l’attraction, de l’audience et de l’origine du lieu qu’il est possible, au-delà d’une typologie, de saisir l’importance et la singularité des pèlerinages, communautés religieuses à eux seuls, modalités de territorialisation de l’Eglise, plus ou moins contrôlées. Cette rapide étude met en évidence l’importance des formes collectives, des structures permettant l’acheminement des pèlerins. Le caractère social de ce phénomène est posé.

L’analyse conduite sur le diocèse de Saint Etienne corrobore les travaux cités. Elle s’inscrit parfaitement dans le thème de cette thèse qui était de mettre en lumière les modalités de territorialisation du fait religieux, qu’elles soient institutionnalisés ou comme nous l’avons constaté, produites par des individus, des communautés ou des mouvements. Les pèlerinages s’apparentent par bien des aspects à des réseaux. Chaque individu est connecté directement au lieu de pèlerinage, à la communauté ou au mouvement qui l’accompli et les lieux sont autant de centralités. Cependant, le trajet, la distance, la durée, reliant tous ces points est vécue, attendue et pour certains d’entre eux, Saint Jacques de Compostelle notamment, le parcours est plus important que tout. Ils apparaissent comme des substituts des formes et pratiques territorialisées classiques pour des populations désireuses d’exprimer leur foi d’une manière plus personnelle et émotionnelle. Les pèlerinages peuvent être assimilés à des formes complémentaires dans la mesure où le public concerné ne s’exclue pas des pratiques dites classiques. Quoi qu’il en soit, l’institution diocésaine locale tente d’encadrer ces pratiques, leur donner un caractère « paroissial » ou « diocésain ». Mieux encore, elle cherche à capitaliser l’expérience vécue par chacun des pèlerins pour les réinscrire dans la trame d’une pastorale traditionnelle et locale.

Après cet exercice, il est possible de tirer une conclusion partielle : la « paroisse nouvelle » fait du territoire un objet alors que jusqu’ici, il n’était assimilé qu’à un simple cadre. Inscrite dans un double contexte à la fois propre aux rapports qu’entretient l’Eglise avec la société d’une part et à ceux de la société à l’espace, la recomposition s’appuie essentiellement sur cette modalité territoriale. Afin de s’adapter aux nouvelles géographies sociale et religieuse, l’Eglise diocésaine stéphanoise a agit en deux temps : d’une manière volontariste et brutale tout d’abord en procédant à un redécoupage territorial et fonctionnel (1995-1999) puis par ajustements, réagencements après le bilan de la première phase, amenant la création de huit paroisses nouvelles sur l’espace de l’agglomération stéphanoise.

La recomposition des territoires du religieux peut être mis en parallèle avec les phénomènes de décentralisation et de re-territorialisation de toutes les composantes de la société et notamment l’intercommunalité. La paroisse nouvelle, qui apparaît comme proche de la communauté de communes, est prise entre deux nécessités antagoniques : elle doit sauvegarder des espaces de rencontres, d’action de proximité qu’exige la charge symbolique de la paroisse dans la mémoire collective – c’est assez similaire pour la commune, l’école publique, l’hôpital ou encore la caserne de sapeurs pompiers mais aussi mettre en commun des outils, des moyens sur des secteurs pastoraux devenus plus vastes. Il est donc nécessaire d’acquérir une « bonne taille », un équilibre entre une certaine masse critique – chaque paroisse nouvelle regroupe 20000 habitants- et la garantie d’un service de proximité – par les relais et équipes d’animation.

L’individualisation et la subjectivisation des croyances ont considérablement compliqué les expériences, les expressions de la sociabilité religieuse. Elles ont produit une multiplication de petites communautés temporaires où la relation avec l’institution est essentiellement fondée sur la potentialité que sur l’attachement communautaire. L’individualisme religieux n’est pas nouveau mais est absorbé dans l’individualisme moderne. Dès lors, la territorialisation du religieux devient complexe car elle est, comme cela a été déjà souligné, absorbée dans la re-territorialisation des toutes les composantes de la société.

Re-localiser le mode de production de lien social, – et religieux- prendre en compte les logiques sociales sous jacentes et des dynamiques locales sont aujourd’hui autant de stratégies organisationnelles que des programmes d’action. Cette paroisse nouvelle relève plus du domaine du vécu que de la représentation et fait cohabiter trois modes d’organisation jusqu’alors mis en situation de concurrence et inscrit dans un rapport de force : territorial (paroisse classique), sectoriel (mouvements divers) et en réseaux (rapports à l’affinitaire et aux temps forts). Le régime de la co-production est à l’œuvre dans la territorialisation du religieux.