Créé en 1940 par un protestant, le pasteur Roger Schultz, la communauté œcuménique de Taizé s’est orientée dès le début des années 70 vers l’accueil des jeunes.Largement ouverte sur l’Europe, cette rencontre réunit chaque été près de 6000 jeunes 123 . Les entretiens réalisés sur les jeunes stéphanois s’y rendant apportent leur lot de renseignement sur les raisons de leur présence. Tous ces pèlerins n’avouent pas de motivations religieuses à leur déplacement. Expérience contre culturelle, étape touristique, forme de participation à une nouvelle Eglise « méta confessionnelle » voire même « lieu mythique » - sans être plus explicite- pour certains. Quoi qu’il en soit, tous parlent de Taizé comme d’un lieu ou d’un moment permettant de se rassembler, de s’exprimer, de chanter, de discuter, de parler et pour les plus engagés, de prier. La liberté d’une auto organisation est un facteur important tout comme la lisibilité de références religieuses explicites, une sorte de « règle du jeu» établie et garantie. Cette cohabitation entre espace libre et encadrement s’oppose immédiatement pour les jeunes interrogés, aux formes ordinaires de la sociabilité religieuse, à la paroisse notamment dans lesquelles il n’est pas rare qu’ils se sentent « oubliés» et «contraints». Même s’il reste hors institutionnel, car à la fois œcuménique et volontairement en dehors du système, Taizé n’en demeure pas moins un outil territorial et fonctionnel mis en valeur par l’Eglise pour assurer un certain contrôle sur une population difficilement saisissable. Volontairement, nous ne nous étendrons pas plus sur ce sujet qui dépasse et de loin notre terrain d’étude. Nous renvoyons le lecteur intéressé pour approfondir ce sujet au travail réalisé par Danièle HERVIEU LEGER 124 .
Cependant il semblait nécessaire de l’évoquer dans la mesure ou il cristallise à lui seul tous les traits de la religiosité moderne et peut apparaître comme une forme spatiale et fonctionnelle dont l’Eglise pourrait s’inspirer pour s’adapter à la recomposition des territoires. La force d’une telle rencontre est l’articulation de l’hyper personnalisation avec l’extrême planétarisation. Chacun a le sentiment d’être reconnu pour ce qu’il est réellement en tant qu’individu. Dans un tel contexte, la diversité singulière des expériences individuelles s’exprimer sans être immédiatement confrontée à un dispositif normatif du croire, ni même à un discours au sens préconstitué. « Chacun peut faire valoir sa propre différence dans le mouvement, tout en ayant la conviction d’appartenir à la communauté », comme nous l’affirmait une jeune.
Taizé n’en est pas pour autant un mouvement. Cette définition impliquerait qu’il existe des adhérents et des affiliés à une croyance et à des pratiques communes. C’est une formation en réseau, où la mobilité tant physique, temporelle, participative ou spirituelle joue un rôle prépondérant pour ne pas dire plus. Elle réduit au minimum la dimension institutionnelle de la participation, ne nécessite aucune adhésion formelle et tolère une grande dispersion des formes d’expression des pèlerins. C’est la forme de socialisation religieuse la plus ajustée à la religiosité moderne de l’individu. Elle l’est encore plus dans la mesure où elle embrasse aussi les courants déstabilisateurs et productifs qui traversent l’Eglise et les comportements religieux : la précarité, la fragilité et la tendance à la dissémination.
En légitimant le rassemblement de Taizé et en y envoyant des jeunes, l’Eglise stéphanoise le transforme en un lieu et un moment où elle annonce à ce public, qu’individuellement et collectivement, il est possible d’aller plus loin dans le développement d’une expérience religieuse basée sur l’émotion (individuelle) et l’affinité ( collective). Et ce dans sa paroisse de résidence. Toutefois, malgré ce discours, il ne nous fut pas possible d’en juger l’efficacité. Alors, faux discours, mauvais outils ? Nous ne porterons aucun jugement ici aussi, préférant avancer l’hypothèse que cette religiosité, individuelle et plurielle est difficile à encadrer car non contrôlable. Nous pensons, que, conscients de cela, les acteurs diocésains préfèrent l’accompagner, tachant de signifier aux populations désireuses d’approfondir leur foi que des structures sont à leur disposition. L’Eglise ne cherche pas à reconquérir mais veille à être réactive au moindre signe tangible de demande.
51 jeunes furent envoyés à Barcelone en 2000 par le diocèse de Saint Etienne. Voir Chrétiens en marche, n° 369, Janvier 2001
« Une sociabilité pèlerine : le laboratoire taizéen » in « Le pèlerin et le converti : la religion en mouvement », op cité plus haut, p 99 à 109