B. Mobilité et fluidité : des caractéristiques à intégrer dans la compréhension de la religiosité actuelle

L’institution est peu habituée à gérer la mobilité et la fluidité des croyances et des pratiques. Le contrôle temporel est traditionnellement un élément essentiel de la gestion catholique du religieux. L’insistance sur l’obligation pratiquante introduit, dans la vie du fidèle, un dispositif de régularisation extrêmement puissant de la vie religieuse, qui atténue les variations de la vie spirituelle personnelle. Au-delà, la délimitation formelle des temps consacrés à l’activité religieuse collective sous la forme du culte est, au principe d’une mise en ordre globale de la vie des croyants, rythmée par les cycles courts de la vie liturgique (office dominical) et par les cycles longs des fêtes (annuelles ou exceptionnelles). La socialisation religieuse du temps vécu des individus est, en ce sens, une dimension fondamentale de la construction institutionnelle de l’appartenance de ceux-ci à la lignée catholique.

La religion s’inscrit comme norme dans la vie ordinaire des fidèles à travers les règles de gestion du temps qu’elle leur prescrit. Or, la religiosité moderne échappe à un tel encadrement. La condition spirituelle incertaine et mouvant qu’elle décrit est étroitement dépendante des affects et des expériences singulières de individus. Peu susceptible de se fixer dans des cadres temporels prescrits par avance, elle se manifeste dans des pratiques de l’extra quotidien, dont le pèlerinage – événement unique même si il est répété dans le temps- offre l’expression la plus adéquate. Il définit un instant d’intensité religieuse qui ne s’inscrit pas dans les rythmes de la vie ordinaire, rompant avec l’ordonnancement régulier du temps des observances pratiquantes. Cette rupture de la régularité pratiquante intervient même dans les cas des processions, pardons, pèlerinages commémoratifs où une longue fréquentation historique du trajet pèlerin a stabilisé depuis un certain temps la pratique pèlerine dans la forme d’une manifestation festive intégrée au régime général des observances : c’est son caractère exceptionnel, la mobilisation qu’elle implique, le temps de préparation préalable qu’elle requiert parfois qui viennent, dans ce cas précis, rompre la routine répétitive de la pratique ordinaire.

La religiosité pèlerine échappe à cette régulation institutionnelle du temps dans la mesure où elle est et se définit comme un mouvement non prévisible, susceptible de se cristalliser ponctuellement dans des moments d’intensité qui préservent, tout en activant, la spontanéité de l’engagement émotionnel du croyant. Ce dernier choisit selon une expression employée par les pèlerins des JMJ, le moment où il « recharge les batteries » de sa vie spirituelle.