III. L’institution produite par les acteurs : un nouveau régime de l’autorité

Quel est le régime de l’autorité qui prévaut aujourd’hui dans l’Eglise ? D’un point de vue doctrinal, les choses restent claires. Les autorités légitimes de l’Eglise demeurent formellement les détentrices de la définition du croire vrai C’est la référence à la Révélation, médiatisée par les tenants autorisés du « dépôt de la foi », qui fonde le rapport des fidèles à la vérité. L’interprétation de cette dernière ne saurait donc en aucune manière faire l’objet d’une délibération collective. L’Eglise, du fait de sa constitution théologale, n’est pas et ne saurait en aucun cas être régie par les lois de la démocratie. Les autorités religieuses ne tiennent pas leur légitimité du peuple des fidèles : ils la reçoivent de Dieu lui-même, à travers la succession apostolique dans laquelle s’inscrivent les papes et les évêques.

Cette présentation de la problématique de l’autorité dans l’Eglise est évidemment trop simple par rapport aux élaborations théologiques qui déclinent, de façon beaucoup plus fine, les différentes dimensions, personnelle, collégiale et synodale de son exercice. Pour être authentifiée, cette autorité doit aussi être reçue comme telle par ceux à qui elle s’adresse, et cette « réception » implique les fidèles en corps. C’est l’autorité jugée « naturelle » qui semble être remis en question par les comportements actuels.

Le temps de l’ultra modernité est précisément celui de la sécularisation ultime de cet univers normatif adossé à la transcendance. Cette sécularisation, qui dissout le régime d’institutionnalité enraciné dans le monde religieux auquel il s’est substitué, trouve concrètement son principe dans l’avancée du processus de l’individualisation et dans la reconnaissance grandissante du droit individuel à faire valoir sa propre singularité dans la sphère publique. L’être religieux ne se définit plus comme celui étant capable de s’approprier personnellement le point de vue général ; il s’incarne dans celui qui fait valoir sa particularité auprès d’une instance du général dont il ne lui est demandé à aucun moment d’épouser le point de vue. Ce mouvement transforme la visée même de l’institution – Eglise. Elle consiste moins à exprimer l’unité du corps religieux – croyants- qu’à assurer le traitement équitable de toutes les différences qui s’expriment au sein de son corps.

L’Eglise ne sort pas indemne de cette mutation culturelle en cours depuis près de trente ans. Même si elle continue à invoquer la spécificité absolue et irréductible car divine, de sa constitution institutionnelle, elle a de moins en moins de chance de préserver la crédibilité des fonctionnements de l’autorité religieuse.