IV. L’informalité de la sociabilité catholique

Cela ne signifie pas que les fidèles sont moins attachés à leur Eglise – diocésaine, nationale et universelle- qu’ils ne l’étaient dans le passé. Ils le sont même au moins autant car cet attachement passe désormais par un sens personnel de l’appartenance, par une adhésion consciemment assumée dont l’exigence n’a sans doute jamais été aussi puissante, et dans laquelle le fidèle s’affirme comme un croyant autonome. Un nombre croissant de personnes baptisées n’endossent pas cette identité catholique demeurée pour eux purement nominale, se déclarent sans religion lorsqu’on leur demande de décliner leur identité religieuse. Cela est significatif de ce changement de sens de l’appartenance. Cette personnalisation à l’extrême de l’appartenance transforme également le sens de la participation religieuse collective. Elle doit également faire l’objet d’une décision de la part de ceux qui s’y engagent et qui se sentent fondés, au titre d’un choix qui ne va aucunement de soi dans une société largement areligieuse, à définir eux-mêmes les orientations et les modalités de leur expression collective et de leur action.

La désertion des formes programmées de la participation catholique et la prolifération des petites initiatives communautaires locales trouvent ici une part de son explication. Le catholicisme français n’est pas un désert parce que les églises sont désertées. Il fourmille, en réalité, de microréalisations, qui poussent de façon autonome et sont la plupart du temps, bien loin de développer des tendances quelconques à la dissidence. Comme nous l’avons souligné à maintes reprises, tout au long de cette thèse, la vie religieuse déborde les formes et les cadres classiques. La religiosité actuelle produit ses réseaux (aumôneries, pèlerinages, mouvements de jeunes…) et ses territoires qui, s’ils ne se reconnaissent pas pleinement dans l’Eglise diocésaine, n’entrent ni en conflit ni en concurrence direct avec elle. D’ailleurs, en les institutionnalisant, les instances locales ont réussit un véritable tour de force : elle reconnaît leur existence propre et en fait des modalités émanant de l’Eglise elle-même. Tant et si bien, et nous l’avons ressenti, les populations ont le sentiment de n’être pas sous un régime d’obligation mais bel et bien d’individualisation. Ainsi, le mouvement Jeunes pour une Foi, d’initiative individuelle, considéré comme forme concurrente, est aujourd’hui, comme tant d’autre, assimilé a une forme alternative et complémentaires dans le processus de recomposition paroissiale.

A la différence de ce que l’on pouvait observer au plus fort de la vague anti-institutionnelle du tournant des années 1960-1970, cette informalité croissante de la sociabilité catholique n’est porteuse qu’à la marge d’une protestation explicite contre l’organisation et la gestion de l’institution. Au contraire. L’observation de certains groupes locaux, aux objectifs variés et insérés dans des dispositifs paroissiaux classiques ou rénovés comme les groupes de prières, de lecture, préparation aux mariage et baptême, réflexion, entraide…. Révèle plutôt l’intensité affective d’un attachement à l’Eglise qui se cristallise assez habituellement sur la personne du pape. En même temps, tous ces groupes participent d’une culture de la négociation et de la coopération, en œuvre dans la famille, la vie associative ou la vie au travail, qui en conduit les membres à développer des pratiques et à cultiver des références de type identique dans leur activité ecclésiale. Une fois de plus, le phénomène n’est pas nouveau. Les prêtres « ouverts » encouragent depuis longtemps la « coresponsabilité » des laïcs et leur prise autonome d’initiative. L’association laïcs prêtres existait à travers la fonction d’aumônier exercée par un prêtre dans telle ou telle communauté, dans tel ou tel mouvement. Mais la démographie du clergé a crée une pénurie, tant et si bien, que ses formes se sont retrouvées autonomes. Face à l’amplification de ce phénomène, la création des EAP a conjointement renforcé le poids et la présence du prêtre et a encouragé les laïcs à prendre leurs responsabilités.

Les différents entretiens conduits avec les prêtres des paroisses nouvelles sur ces thèmes nous ont permis de cerner l’objectif de l’Eglise diocésaine. Il s’agissait de stopper la dérive que connaissait la paroisse, le risque qu’elle devienne une association de micro communautés animées par des laïcs, sans une personne exerçant les rôles de modérateur et de fédérateur. Confier des activités aussi diverses que considérables aux laïcs paraissait inévitable. En les légitimant, l’institution les a aussi institutionnalisés. Elle en a fait des outils pastoraux et non plus des formes de dissidences, placés directement « sous le contrôle du prêtre » comme le soulignait JM GUILLEMOT. En structurant les rapports prêtres laïcs, en plaçant les seconds sous la tutelle des premiers, l’Eglise reconnaît qu’il existe des services que jamais les laïcs ne pourront présider : l’Eucharistie. Le rôle du prêtre se retrouve centré sur ce sacrement et il devient pleinement un modérateur.

L’apostolat des laïcs fonde, à Saint Etienne, la paroisse nouvelle dans la mesure où il est synonyme et illustre la dimension dynamique qu’ont voulu donner les instances diocésaines à la recomposition. Sur l’ensemble des terrains observés, les laïcs de part leurs activités dans la catéchèse, l’animation liturgique…. semblent réaliser le lien entre la structure et le fonctionnement en réseaux des mouvements et la dimension territoriale des communautés.

Toutefois, il faut préciser que cette participation, activée et accentuée par la situation démographique du clergé en France, ne constitue pas un simple aménagement organisationnel qui laisserait indemne le régime d’institutionalité ecclésiastique. Les longues et âpres discussions autour des procédures synodales cristallisent la confrontation entre les évidences démocratiques dont les participants sont porteurs et une culture ecclésiastique qui leur devient, de part son extériorité, étrangère.

Le postulat selon lequel l’Eglise définit seule et légitime d’en haut les formes prises par la sociabilité catholique « d’en bas », fait de longue date l’objet de la contestation de beaucoup pour qui la pratique de la démocratie au cœur même de l’institution est une des conditions de sa mise aux normes évangéliques. Cette contestation intense dans les années 1970, progressivement refoulée est incomparablement moins menaçante, aujourd’hui, pour les dispositifs de l’autorité religieuse, que le lent travail d’érosion qui procède de la pluralisation et de l’autonomisation – toute relative- des styles de communalisation et des modes de socialisation au sein de la « nébuleuse catholique 128  ».

Notes
128.

HERVIEU LEGER D, 2003, p 294 « Catholicisme, la fin d’un monde », Paris, Bayard.