VI. La question du clergé

Dans ces remaniements de l’institutionnalité catholique, la question du clergé et la crise de l’encadrement clérical sont centraux. Ces problèmes prennent une dimension particulière du fait de la situation démographique française dont nous avons largement évoqués les dimensions. Dans le diocèse de Saint Etienne, comme ailleurs, on assiste à une réflexion intensive afin de réorganiser l’emploi clérical, pour définir les principes de la relation des prêtres avec les laïcs, comme pour former le peu de candidats restants au sacerdoce, de les informer sur les difficultés qui les attend. Ateliers formations, communications, échanges, rencontres, les initiatives ne manquent pas. Au-delà d’un réaménagement territorial, il s’agit aussi de recréer, à travers la mise en place des équipes et autres collectifs d’animation pastorale, de la sociabilité paroissiale 129 . Toutefois, plane l’hypothèque que fait peser sur ces initiatives innovantes l’effacement inéluctable de la présence physique du prêtre qui incarne, dans le régime officiel de l’institutionalité catholique, la continuité et la conformité ecclésiale du rassemblement des fidèles.

La réhabilitation du diaconat prônée par Vatican II a renouvelé le personnel ecclésiastique spécialisé mais l’entrée des diacres dans les paroisses nouvelles contribue à la déstabilisation des dispositifs traditionnels de la « division du travail religieux » entre prêtres et laïcs. C’est leur identité qui est en question : collaborateur du ministère du prêtre ou porteur d’un ministère spécifique et de plein droit ? Le débat persiste. Quoi qu’il en soit, l’ordination régulière des diacres est loin de compenser le déficit en personnel ordonné (1521 en 1999). Cette pénurie conduit l’Eglise à recourir non seulement à des laïcs bénévoles, mais également et de plus en plus, à des personnes salariées. Devenue un employeur comme un autre, l’institution se trouve désormais, pour des activités qui relèvent de la gestion ordinaire des biens symboliques qu’elle produit, soumise aux conditions générales du droit du travail et du droit social. Cette situation nouvelle renforce la logique « professionalisante » qui atteint l’ensemble des personnels religieux dans un monde où le statut professionnel est devenu la base de l’identité des individus. Source de tensions multiples, ces nouvelles conditions d’exercice de la « profession cléricale » induisent une transformation profonde de l’image que la société et les fidèles ont du prêtre.

Cette banalisation, observée dans les enquêtes conduites à Saint Etienne, de la condition « professionnelle » du prêtre, qui prend place dans la constellation des professions séculières et la médiocrité du statut socio-économique qui lui correspond, suscitent en retour une certaine réhabilitation compensatoire de la figure du prêtre « homme du sacré », paradoxalement valorisée par la séparation devenue exotique de sa condition dans la société telle qu’elle est. Toute réflexion sur l’état du catholicisme en France, des formes de pratiques, des structures territoriales, des stratégies développées par l’institution, ne peut être mise en œuvre sans que la question de la démographie du clergé soit prise en compte. Le travail des historiens 130 peut aider en cela.

Notes
129.

Cf. PALARD J « Les recompositions territoriales de l’Eglise catholique entre singularité et universalité » Archives des sciences sociales des religions. N° 107, juillet-septembre 1999

130.

PELLETIER D, 2002, « la crise catholique. Religion, société, politique en France( 1965-1978) », Paris, Payot. Notamment chapitre II : « la crise de la figure du prêtre ».