VII.L’Eglise comme institution du libre service religieux ?

L’Eglise se transforme. D’ «institution d’identification », elle est devenue une « institution de services ». Sans pour autant être totalement un « supermarché spirituel », elle a évolué. Les catholiques se rapportent à l’Eglise comme à un vaste centre de ressources symboliques, dans lequel ils puisent en fonction de leurs besoins propres. Mais ce raccourci mérite d’être nuancé. Parler d’institution de services renvoie au processus complexe celui là, par lequel les formes d’engagement des individus – correspondant aux attentes, aux aspirations et aux intérêts, tous diversifiés- produisent des réponses institutionnelles différenciées, qui deviennent, dans leur diversité même, la nouvelle figure de l’institutionnalité catholique.

Cette pluralité épouse les dimensions possibles des trajectoires d’identification que parcourent des individus qui ne trouvent plus dans leur héritage identitaire catholique « clés en main » mais qui composent eux-mêmes la modalité de leur inscription particulière dans la lignée des croyants. Comme nous l’avons montré auparavant, il existe différentes dimensions de l’identité, toutes liées les unes aux autres : la dimension communautaire à travers des repères, la dimension éthique par les valeurs, culturelle par les savoirs faire, les expériences esthétiques, les élaborations et la dimension émotionnelle que l’expérience affective définie.

Chacune d’entre elles, individuellement ou par addition a pour conséquence d’amener les populations à produire des modalités de territorialisations plus adaptées aux caractéristiques de leur sociabilité religieuse. Structurées, elles donnent naissances à de micro organisations comme la Pastorale des ZUPS, la communauté Notre Dame de Grâce, JPF, d’initiatives individuelles et locales ou réinvestissent d’autres organisations plus importantes comme la JOC ou les aumôneries. L’institution diocésaine les accompagne en leur offrant une visibilité plus forte à travers des services de formation, de communication et d’information ainsi qu’une certaine « garantie » de solidité, mais en échange, elle les intègre dans son processus de recomposition. D’électrons libres, elles deviennent des territorialisations institutionnalisées, relativement autonomes.

Revers de la médaille, il y a une apparente dispersion des stratégies ecclésiales qui entretiennent ce sentiment d’incapacité et offre au regard l’impression de l’illisibilité du catholicisme. L’Eglise donne l’impression de répondre au coup par coup, de manière opportuniste, à ces demandes contradictoires et diverses, de différents segments d’une « clientèle » qu’elle désespère de rejoindre dans toutes ses attentes. Elle soutient les sans papiers, organise pour les jeunes des grands spectacles festifs en s’efforçant de transformer ces mouvements forts en occasions d’une formation catéchétique accélérée 131 . Elle encourage par ses relais locaux – les diocèses- les communautés nouvelles, sans abandonner les priorités d’une politique des paroisses qu’il lui faut entièrement renouveler. Elle redonne une place aux dévotions populaires sans négliger l’ouverture aux « nouvelles demandes spirituelles » émanant de la nébuleuse du New Age chrétien. L’institution continue de répondre à la demande de rites qui lui est adressée tout en cherchant le juste équilibre entre « la personnalisation de la fête » (demande) et la préservation du sens traditionnel du sacrement et de la célébration. Quoi qu’il en soit, les initiatives foisonnent mais ne sont pas exemptes de critiques formulées par certains : l’Eglise ne sacrifie-t-elle pas sa tradition à des logiques de marketing, brouillant son image ? D’autres encore, l’accusent de rendre son discours dissonant et inaudible, au lieu de procéder au recentrage identitaire et idéologique qu’appelle ce flou contemporain. Enfin, on lui reproche un manque d’audace et d’imagination en recyclant « ad vitam eternam » des formules pastorales usées.

Il faut concevoir que les autorités religieuses n’ont plus aujourd’hui qu’une capacité réduite de régler de façon autonome la politique pastorale qu’elles entendent mener. Le choix qui s’opère semble être celui de l’accompagnement, de proposer plus qu’imposer. C’est une combinaison assez forte d’une option théologique et pastorale (reconnaissance de la sécularité du monde et celle de l’autonomie des croyants) et de l’acceptation des conditions réelles d’un régime présent d’institutionnalité qui fait dépendre l’Eglise, dans son existence sociale même, des engagements pluriels de ceux qui continuent de faire d’elle la référence de leur inscription choisie dans le catholicisme.

Notes
131.

Par exemple, le grand rassemblement organisée en Juillet 2003 par la JOC, à Bercy en présence de Cunnie Williams, vedette internationale du « rythm’n’blues »