C. La communauté ecclésiale en voie d’acculturation au modèle contemporain de la famille relationnelle

Confrontée à l’effondrement de la civilisation paroissiale et de l’affaissement des dispositifs d’encadrement du peuple fidèle sous la houlette du clergé, confrontée également au manque de succès des actions de reconquête confiées à l’avant-garde militante des mouvements missionnaires, l’Eglise a progressivement mis en place une définition renouvelée de la communauté ecclésiale, sous le double signe de l’engagement volontaire des fidèles et de la responsabilisation des laïcs.

L’impératif de maintenir une présence territoriale du catholicisme localement, pousse l’institution à impliquer massivement les laïcs dans les œuvres catholiques classiques mais aussi dans la transmission religieuse (catéchèse, enseignement religieux et théologie), dans les tâches d’accompagnement spirituel (aumôneries) voire dans les responsabilités de communautés territoriales.

Cette situation a puissamment renforcé, dans un pays laïcisé en profondeur, le caractère volontaire des communautés locales. Fondées sur l’engagement d’un petit reste qui ne rêve plus de reconquête chrétienne de la France et ne prétend pas à l’administration religieuse du territoire, ces communautés réunissent des individus unis par un sentiment puissant de leur responsabilité pastorale collective, et qui entretiennent couramment entre eux des affinités spirituelles et sociales fortes. Les observations réalisées au plus près de ces noyaux paroissiaux montrent que le langage emprunté à la famille dominait pour définir leur mission : « Notre objectif est de rassembler la famille chrétienne » et le type de relations qui s’établit au sein du petit groupe de volontaires qu’ils constituent « nous sommes comme une famille », « nous fonctionnons comme une famille : on tient les uns aux autres, et on s’engueule tout le temps ! », « chacun travaille, mais on se rassemble : c’est comme une famille ! ». Le langage de la famille permet de représenter la continuité d’un lien qui dépasse les individus réunis à un moment donné, et de dire la force affective de la relation qui se créée entre eux, dans le contexte d’un amenuisement, toujours fortement ressenti, de la présence sociale de l’institution catholique.

L’institution s’appuie elle-même sur ce ressort familial, non seulement pour valoriser spirituellement la communauté locale, en référence au signe donné par les premières communautés chrétiennes « ils vivaient en frères », mais également pour signifier les liens de complémentarité qui assignent à chacun, dans ce cadre, un rôle bien défini. Elle contribue également à la recomposition « familiale » des relations communautaires par le développement des dispositifs d’encadrement catéchuménal (à destination des adultes), dans lesquels le renforcement de la signification « familiale » du groupe (des laïcs pour la plupart) qui entoure le futur baptisé est particulièrement net. Il s’agit en effet, dans ce cas précis, de faire entrer le catéchumène dans une lignée spirituelle en l’incorporant au sein d’une micro communauté qui s’emploie à lui assurer la socialisation religieuse dont il n’a pas bénéficié dans son enfance. Au sein de ce groupe, le catéchumène trouve fréquemment le parrain et la marraine qui formalisent son adoption dans la « nouvelle famille » qu’il s’est choisi. Et le baptême lui-même est mis en scène comme une nouvelle naissance dans cette famille.

Cette perspective est classique théologiquement parlant mais elle se réalise socialement et structurellement dans des termes nouveaux, à partir du moment où la transmission religieuse se trouve être de moins en moins assurée au sein des groupes familiaux réels. On peut ainsi considérer que l’affaissement de la socialisation religieuse familiale classique renforce la mission quasi familiale d’engendrement de la foi qui est reconnue aux communautés chrétiennes. Cette logique est courante dans les groupes de préparations au baptême des enfants, ou dans la préparation au mariage.

Dans ces modèles là, nouvelles figures organisationnelles, ce n’est plus le modèle de l’Eglise qui fournit l’idéal de la famille humaine (paternaliste), c’est la famille relationnelle (où se réalise l’idéal de démocratique d’égalité des membres qui la composent et choisissent de vivre ensemble) qui sert de référence à la communauté ecclésiale idéale. Ce modèle de « famille horizontale » gouverne notamment les représentations de ce que doit être désormais le rôle d’arbitre, en charge de « faire circuler la parole » et « d’aider les personnes à s’exprimer » qui incombe désormais au prêtre devenu un parmi d’autres, dans une communauté d’égaux. Car, si comme nous l’avons montré, la présence physique et le rôle « exceptionnel » du prêtre sont toujours présents, ils demeurent en complémentarité avec cette caractéristique d’anonymat.