II. Une religiosité antagonique : l’individualisation du croire et la communalisation religieuse…

Identifier les formes de sociabilité religieuse qui peuvent exister dans un contexte d’individualisme religieux, lui-même intégré à l’individualisme moderne reste un travail entier. Si comme cela était énoncé, l’individu produit lui-même et de manière autonome, son propre dispositif du sens lui permettant d’orienter son existence et de répondre aux questions qui la traverse, si son expérience spirituelle se condense dans une relation « intime » et privée de ce qu’il nomme « Dieu », cette expérience personnelle n’est pas sujette à l’appartenance nécessaire à une communauté.

Cette propension à croire sans appartenir à une quelconque Eglise s’est trouvée vérifiée dans certains entretiens où les sondés donnent à leurs quêtes spirituelles un sens religieux, en se référant librement à une tradition croyante instituée. Il y a bien là l’établissement d’un lien entre une solution plus ou moins croyante et une Eglise. Il n’est plus besoin d’adhérer à une communauté catholique, protestante, bouddhiste ou « New Age » pour faire valoir telle ou telle préférence.

On peut donc légitimement admettre que le « bricolage croyant » rend impossible la constitution de communautés croyantes réunies par une foi partagée. Dans cette hypothèse, l’actualisation communautaire d’une référence à une tradition qui est l’essence du lien religieux tend à disparaître. La référence commune à une vérité partagée, faisant autorité est absente dans de nombreux discours. La validation du croire demeure, semble-t-il une opération individuelle. Tout concourt à amener une dissolution de toute forme communalisation religieuse. Et pourtant….

La diversification du croire suscite un mouvement contraire de prolifération communautaire. C’est à l’encontre de cette potentialité que l’institution développe tout un arsenal d’outils et de structures. Plus les individus bricolent le système de croyances correspondant à leurs propres besoins plus ils aspirent, semble-t-il, à échanger cette expérience avec d’autres qui partagent le même type d’aspirations. Il semblerait que pour valoriser et stabiliser leur religiosité – un comportement parmi les autres-, les individus aient besoin de trouver une certaine assurance de la pertinence de leurs croyances, dans une certaine reconnaissance communautaire. Cette confirmation a toujours été assurée par les principes décrits par les grands systèmes (religieux, politiques, idéologiques) et garantis par les institutions et leurs clercs respectifs. « L’auto validation du croire » - l’individu ne reconnaît qu’à lui-même la capacité d’attester la vérité de ce que à quoi il croit ou investi de sens- comme trait majeur de la religiosité moderne cède la place à la « validation mutuelle du croire » - l’individu fondant sa religiosité sur le témoignage personnel, l’échange des expériences individuelles et à un certain degré l’approfondissement collectif. C’est ainsi que, se mettent en place des réseaux, des groupes qui, en marge des communautés ou au sein des paroisses, produisent des formes souples et mouvantes de sociabilité, fondées sur les affinités spirituelles, sociales ou culturelles des individus qui les composent.

L’Eglise catholique, en particulier, défend elle l’idée au contraire, « d’un régime institutionnel de la validation du croire ». Ce système normatif n’exclut cependant pas qu’existent et se différencient au sein de l’institution des régimes de validation communautaire du croire répondant au désir de groupes singuliers de vivre leur foi de manière plus ou moins intensive. Les congrégations, les mouvements, les « communautés nouvelles »… inscrivaient déjà leurs propres régimes de validation et leurs spatialisations à l’intérieur du régime et des territoires de l’institution. Mais aujourd’hui le nombre « d’actifs » est supérieur à celui des « passifs » et c’est cela qui créé en partie le déséquilibre auquel doit faire face l’Eglise.

La montée de l’individualisme religieux a contribué à renforcer l’affirmation et la pluralisation des régimes communautaires et donc à un maillage territorial important mais dont la lisibilité et le contrôles sont difficiles du fait de la superposition des structures. Sociologiquement parlant, l’Eglise catholique se trouve dans une nouvelle phase de son histoire : celle de la modernité religieuse – absorption de l’individualisme religieux dans l’individualisme moderne- où la croyance et les comportements religieux sont individualisés et subjectivisés. En quelque sorte, on peut avancer la conclusion suivante : à un maillage territorial dense et institutionnalisé, se substitue un empilement de maillages plus ou moins denses, communautaires et un maillage institutionnel, lui, très relâché.