E. Les cercles et les réseaux

La dissémination des chrétiens appelle donc à une conversion des mentalités et bouscule les stratégies paroissiales qui avaient jusqu’à aujourd’hui, fait leurs preuves. La recomposition des paroisses illustre un décalage qui a existé –et existe toujours entre les habitudes, les rythmes, les préoccupations paroissiales et les comportements et attentes actuels. La dispersion se double d’un isolement croissant de certains.

Durant toute la période que l’on regroupe sous le terme de « chrétienté » ( du Moyen-Age à la seconde moitié du vingtième siècle), c’est une conception de l’Eglise assemblée et une stratégie de rassemblement qui ont donné aux chrétiens la possibilité d’appartenir à une communauté locale ainsi que le sentiment et la conscience d’être un élément d’une communion plus vaste. Le système paroissial a donné de l’Eglise une image en cercles, cercles plus ou moins juxtaposés ou imbriqués hiérarchiquement mais aussi de « poupée russe ». De la paroisse au secteur (regroupement de paroisses voisines), jusqu’au diocèse… Ainsi la paroisse de Villars était un élément d’un secteur composé de trois paroisses, lui-même élément du diocèse de Saint Etienne, faisant lui partie de la Région Apostolique Centre-Est, subdivision de l’Eglise de France, elle-même, composante de l’Eglise universelle. Cette organisation hiérarchique se trouvait compléter par celle des mouvements ou des communautés, faisant appel à des populations disposées géographiquement sur différents territoires, ou regroupés en un lieu unique. Autant de cercles différents les uns des autres qui cherchent à s’accorder sans engendrer – ou du moins en essayant, un pouvoir centralisateur. Ces cercles ont eu tendance à défendre des frontières et à se replier sur leurs propres particularismes. Le tout dans un relatif équilibre, garantissant la pérennité de l’Eglise. Or, le temps passant, ils définissaient et circonscrivaient des solidarités qui ne tenaient plus compte de la diversité et de la dispersion – dans tous ses aspects- des chrétiens sur un même territoire. L’équilibre fut rompu.

Parallèlement, se sont constitués, dans l’interparoissial des groupes et des communautés nouvelles, traduisant des comportements et des territorialisations nouvelles. C’est aussi pour encadrer cela que les paroisses nouvelles ont adoptées à Saint Etienne, pour principe, celui de la « communion des communautés ». La recherche de cet équilibre et la volonté d’un horizon commun résument les buts poursuivis par l’institution.

Faire place dans l’Eglise, à ces réseaux, n’est pas une idée neuve mais elle a pu paraître perturbatrice et non créatrice de renouvellement. Le diocèse Stéphanois dans sa recomposition s’est doté de structures assurant une certaine gestion de la mobilité en créant notamment, dans chaque paroisse nouvelle, des « maisons paroissiales » véritables relais . Le réseau met l’accent sur une autre proximité que celle de la géographie. Il évolue dans un espace où l’importance des quadrillages territoriaux dessinés par les grandes institutions est relativisée. La dissémination a aussi amené à développer des structures capables de diversifier les relations et les tâches, de susciter des rencontres ou des rassemblements, de proposer une réflexion, des recherches communes ou une formation. Cercles et réseaux dessinent des manières différentes d’être ensemble qui ont tout à gagner à s’interpréter sans se confondre. Réinterpréter les structures de l’Eglise ou réinventer la paroisse permet d’expérimenter des solutions dans la recherche de la bonne réponse.

Le type idéal de la paroisse, communauté naturelle ou Gemeinshaft, caractérisée par un fort sentiment d’appartenance, illustrant une autarcie économique, sociale et culturelle est obsolète. Mais elle n’a pas disparu pour autant. Recomposée, restructurée, étendue, la paroisse est passée de la conservation à la reconquête. La première recomposition paroissiale date de 1972, ce fut celle du diocèse de Belley-Ars. En 2002, sur les 77 diocèses concernés par ce phénomène, 39 avaient achevé leur réaménagement. Saint Etienne était un de ceux-là. L’Eglise locale s’est inscrite dans cette mutation en s’efforçant de donner l’image d’une dynamique interne.

De territoire en 1917 puis communauté en 1983, la paroisse se définit aujourd’hui comme un ensemble humain de fidèles – au sens large du terme- assez nombreux – le seuil semble être de 20000 habitants- suffisamment cohérent. C’est une communauté représentative de son lieu de vie. Tout concourt à penser que le territoire n’a plus pris en compte lorsque l’on parle de paroisse et que seule sa dimension communautaire compte pour la définir.

Cependant, nous pensons que c’est au moment où l’Eglise et toute la société relativisent le territoire que la question sociale, donc religieuse dans la mesure où elle en est une composante, devient une question de territoire ! La paroisse nouvelle reste une localisation. Elle a une dimension, est régie par des logiques d’organisation et de fonctionnement. C’est une production de l’histoire d’une société locale. De territoire, elle en conserve la principale caractéristique : le produit d’un processus d’appropriation par une groupe –même si les intérêts divergent- et le cadre de fonctionnement d’une des dimension de la société : le religieux. Le territoire de la paroisse a changé, les rapports ne sont nullement supprimés, ils sont modifiés.

Tout au long de cette étude, nous avons montré que l’individualisation, la subjectivisation, des croyances et des pratiques religieuses restaient difficilement contrôlables. Ces phénomènes produisent une multiplication de micro communautés affinitaires et d’agrégations temporaires. La paroisse nouvelle est la structure par laquelle l’Eglise répond à la recomposition des territoires en canalisant ces rassemblements dans une logique territoriale. Elle esquisse un changement sans précédent dans la conception de la religion, telle qu’elle est vécue par les populations.