Dans une approche du territoire pertinente et sans prétendre régenter les sociétés locales comme cela l’était au temps de la civilisation paroissiale, c’est à travers le concept de paroisse nouvelle tel qu’il est appliqué au diocèse de Saint Etienne, que l’Eglise semble pouvoir réussir à s’adapter à la recomposition des territoires. Ainsi, elle concilie une nécessaire adaptation à la modernité au maintien d’une présence locale par le biais d’héritages patrimoniaux et culturels.
L’enjeu des recompositions paroissiales est l’émergence de structures correspondant aux processus contemporains d’une socialisation et d’une territorialisation religieuse alignées sur celles de la modernité. L’Eglise devient l’institution, comme la paroisse nouvelle le lieu, où se cristallisent de multiples trajectoires individuelles, aux aspirations différenciées. Si la perception des recompositions paroissiales semblait fondée sur un sentiment de peur, de menace ou de regret face à un paysage religieux en pleine mutation, les acteurs locaux ont privilégié au contraire une démarche stratégique construite sur la notion de chances à saisir. Chaque pratique, territoriale ou en réseau, individuelle ou collective est une potentialité d’inscrire le religieux dans la trame de la vie quotidienne et de sortir l’Eglise de son statut de « service public spécialisé » vers lequel elle dérivait. Cette vision positiviste peut s’apparenter au test de Kobayashi Maru 134 dans la mesure où il renverse complètement les données, faisant des composantes d’un échec certain, les occasions d’une réussite.
La figure caractérisée par l’obligation, la fixité, la dimension communautaire et des pratiques institutionnalisées n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, la multitude des comportements religieux convergent vers le modèle du pèlerin, à savoir : des pratiques volontaires, autonomes, modulables et individuelles. Ce constat rend inutile un nouveau quadrillage, même à une autre échelle, basé sur la même approche. Les deux figures du pratiquant et du pèlerin sont autant de régimes du temps et de l’espace distincts. Le premier est synonyme de stabilité, de communauté; le second, de mobilité, de parcours, d’itinéraires et de regroupement ponctuel.
Le travail conduit sur les paroisses nouvelles de l’agglomération stéphanoise a permis de mettre en évidence la tendance à l’individualisation et à la subjectivisation des croyances et des pratiques. Les structures territoriales s’en trouvent à présent co-produites et co-validées par l’institution et les populations locales. Les comportements identifiés peuvent être élevés au rang de généralités : un profond désir d’enracinement afin de trouver une filiation, une appartenance mais conjointement, une volonté tout aussi profonde de changement, d’innovation. Etre catholique revient à décliner une identité culturelle bien plus que pour indiquer une appartenance à une Eglise institutionnelle. Les populations interrogées admettent un « commun », un passé, une tradition, une culture mais veulent être éloignées de tout ce qui revêt un caractère doctrinal, organisationnel. Ce refus de toute obligation, d’encadrement est rapidement contre balancé par le besoin contraire, de contact, personnalisé et privilégié avec l’institution. Le rite apparaît comme le trait majeur de la religiosité moderne. Ce bricolage religieux ne peut être conforme aux modalités d’actions, aux structures territoriales de l’Eglise si les demandes sont pensées comme émanant de catholiques pratiquants.
En ayant assimilé le fait que les repères d’espace et de temps ne sont plus les mêmes pour tous, l’institution diocésaine a impulsé une dynamique territoriale qui ne fait pas l’impasse des conflits internes et prend le temps de la concertation. Nous avons constaté une articulation des synergies entre une pastorale de vie locale, de proximité et une plus fonctionnelle, de réseaux. Relais, mouvements, communautés nouvelles, lieux de spiritualité, pèlerinages, offices dominicaux semblent cohabiter dans cette « communion de communautés ». Cependant, la montée de l’individualisme religieux, la baisse générale des pratiques ont contribué à renforcer l’affirmation et la pluralisation des régimes communautaires. Il s’ensuit une superposition de constructions, donc un maillage territorial plus important. Les rapports entre l’Eglise et les territoires ont fondamentalement changé : il n’est plus question d’encadrement mais d’accompagnement.
Ainsi, le travail à non seulement validé l’hypothèse de départ en mettant en avant le passage d’un modèle traditionnel de proximité identité à une nouvelle territorialisation. Mais il nous a aussi conforté dans notre point de vue : la conception territoriale ne s’est pas effacée au profit d’une dimension communautaire moins enracinée dans le local. Le passage d’une religion du temps ordinaire, à laquelle correspondait le système paroissial, à une religion des temps forts a induit une nouvelle territorialisation, traduction d’un vécu temporel et spatial nouveau. La proximité y est toujours aussi importante mais choisie et la dimension communautaire persiste mais de manière temporaire. La paroisse nouvelle est la structure territoriale qui assure la conservation de la charge symbolique de la paroisse ancestrale au travers du maintien d’espaces de rencontre,une pastorale de proximité et la mise en commun des moyens et des outils, en réseaux, pour répondre à des pratiques diversifiées et dispersées dans le temps et l’espace. Elle conjugue par une sorte de compromis entre l’institution et la population, une pastorale ciblée, fonctionnelle avec la mobilisation d’une communauté de vie. Cependant, comme cela était esquissé en introduction et approfondie tout au long de cette thèse, les rapports entre l’Eglise et les territoires sont entrés dans une phase de rupture. Les recompositions paroissiales actuelles n’en sont qu’une première adaptation. Ces conclusions nous rapprochent des positions défendues dans de nombreux travaux. Notre étude a démontré que « ‘la surimposition aux nouveaux espaces paroissiaux suffisamment vastes, de structures en réseaux complémentaires paraît mieux à même de répondre aux besoins de groupes humains dont les espaces de références échappent désormais aux contiguïtés spatiales’ 135 ‘ ’»
A l’heure où un premier bilan va être réalisé par les instances diocésaines stéphanoises, nous pouvons nous demander si l’évolution ne va conduire à une concentration ou à une diversification des modèles ? L’organisation et le fonctionnement de l’Eglise catholique correspondaient à un moment précis de l’histoire des sociétés, occidentales du moins. Ce modèle standardisé s’adressait de façon identique à tous les fidèles, dans un processus de réception passive. Point de vue que nous partageons avec Gilles ROUTHIER 136 . Aujourd’hui, la diversité des comportements religieux, la volonté de participation, de co-production des pratiquants, placent l’institution devant un dilemme : tenter de conserver un modèle d’action plutôt unique – la paroisse nouvelle-, en intégrant et nivelant les différences ; soit proposer des réponses différenciées selon les prestations dispensées, les communautés ou les périmètres. Sans prétendre à l’universalité des conclusions de cette étude, nous pouvons avancer que c’est au niveau de chaque paroisse nouvelle que les arrangements seront réalisés et non à l’échelle d’un diocèse tout entier. Nous sommes passé de la paroisse territoire à la paroisse territoires.
Ce test pratiqué aujourd’hui au sein de la NASA ou dans beaucoup d’autres domaines aux Etats Unis est inspiré de STAR TREK : LA COLERE DE KHAN. Il s’agit d’un test de personnalité visant à observer les réactions d’un sujet face à une situation sans échappatoires. La seule solution étant de reprogrammer la simulation.
p.181 in MERCATOR P, 1997 « La fin des paroisses » Paris, Desclée de Brower.
« De multiples lieux pour faire Eglise aujourd’hui », op, cité plus haut.