Le roman familial

Pour Nicholas la mort de ses parents signifie la fin du pouvoir du père et, faisant l’économie du réel de la castration, il se croit en position de maîtrise. La disparition de ses parents laisse le champ libre au déploiement du « moi », de ce “I” qui déjà prolifère dans le premier paragraphe. Nous retrouvons ici le « roman familial » freudien décrit par Marthe Robert dans Roman des origines et origines du roman et qui soutient la tentative d’écrire un Bildungsroman  :

‘En somme, le roman familial peut être défini comme un expédient à quoi recourt l’imagination pour résoudre la crise typique de la croissance humaine telle que la détermine le « complexe d’Œdipe ». 65

Nicholas se met dans la position d’un « homme qui n’accepte pas ses propres origines et décide en conséquence de remanier sa biographie ». 66 L’insistance dans l’incipit du roman sur la filiation et la paternité crée les conditions de la suppression de ses parents qui ouvre toutes les possibilités de filiation imaginaire dans lesquelles s’engouffre le protagoniste.

La filiation imaginaire passe d’abord par un détournement du nom du père, « Urfe », que le désir de Nicholas investit dans l’écrivain français du dix-septième siècle, Honoré d’Urfé :

‘The wishful tradition is that our family came over from France after the Revocation of the Edict of Nantes – noble Huguenots remotely allied to Honoré d’Urfé, author of the seventeenth-century best-seller L’Astrée.(p. 15)’

Elle s’oppose au réel de la filiation de Nicholas dont les ancêtres loin de manifester une quelconque propension à faire de la littérature se distinguent, au contraire, par un seul trait marquant qui est la forte attirance pour les jeux d’argent où régulièrement ils perdaient :

‘(…) – no other of my ancestors showed any artistic leanings whatever: generation after generation of captains, clergymen, sailors, squirelings, with only a uniform lack of distinction and a marked penchant for gambling, and losing, to characterize them. (pp.  15-16)’

Cependant c’est cet atavisme-là, laissant percevoir l’aveuglement de Nicholas, qui resurgit lors de sa rencontre avec Alison au milieu du roman où la métaphore du jeu d’argent passe de l’un à l’autre. Alison dit avoir tout misé sur ces trois jours ensemble, “ betting everything on them ” (p. 275), alors que Nicholas, plus calculateur, tente de jouer plus finement produisant la bonne carte au bon moment : “ I produced my trump ” (p. 273). Et une fois leur rupture consommée, pour s’auto-justifier, il tente de faire passer son « pari » pour un choix d’artiste :

‘I had chosen my own way; the difficult, hazardous, poetic way; all on one number; though even then I heard Alison bitterly reverse those last two words. (p. 278)’

Il y a un réel de la filiation qu’il semble ignorer mais auquel il ne peut se soustraire. L’atavisme déjà évoqué laisse supposer que le pari de Nicholas, comme ceux de ses ancêtres, est un pari perdu.

Qui plus est, la filiation imaginaire qui fait de lui un poète en puissance se heurte au désir de ses parents et notamment de son père, militaire de carrière, qui n’ont que dédain pour tout ce qui touche à la littérature :

‘During my last years at school I realized that what was really wrong with my parents was that they had nothing but a blanket contempt for the sort of life I wanted to lead. (p. 16)’

Même si cette première évocation de la filiation imaginaire est suivie d’une dénégation qui qualifie le lien à l’écrivain de “unsubstantiated link” (p. 15), elle réapparaît dans la deuxième et troisième partie du roman, soulignant ainsi son importance et portant un démenti à cette dénégation.

Tout d’abord Honoré d’Urfé est évoqué de nouveau dans la deuxième partie du roman lorsque Nicholas, à l’invitation de Conchis, vient passer un premier week-end à Bourani. En réponse à une question posée par son hôte sur son nom de famille inhabituel, Nicholas évoque cette filiation tout en minimisant ou en masquant la part de son désir propre. Il met ce désir cette fois-ci au compte de toute la famille car de “wishful tradition” (p  15) nous sommes passés à “family tradition” (p. 91) :

‘Only once did he seem really surprised. He had asked me about my unusual name.
‘French. My ancestors were Huguenots.’
‘Ah.’
‘There’s a writer called Honoré d’Urfé -’
He gave me a swift look. ‘He is an ancestor of yours ?’
‘It’s just a family tradition. No-one’s ever traced it. As far as I know.’ Poor old d’Urfé; I had used him before to suggest centuries of high culture lay in my blood. (…)
‘I have a direct link with le grand siècle at my table.’
‘Hardly direct.’
But I didn’t mind his thinking it, his sudden flattering benignity. (pp. 91-92)’

Le désir masqué de Nicholas se manifeste toutefois au détour de cette dernière phrase qui annule la suppression de ce désir et qui accepte l’image de lui-même que Conchis lui renvoie comme dans un miroir.

Le détournement du nom du père ainsi opéré par Nicholas lui permet d’abord de combler le vide « qui est le fondement même de l’existence du sujet ». En écartant ses propres parents Nicholas occupe le rôle du père puisque, par le biais de sa propre ambition littéraire, il s’approprie imaginairement l’origine (Honoré d’Urfé) et s’auto-engendre par l’écriture. Nous pouvons appliquer à Nicholas ce qu’écrit Annie Ramel à propos de Pip dans Great Expectations  :

‘Dans la perspective lacanienne, l’auto-suffisance du sujet est un pur fantasme par lequel se trouve niée la « dette symbolique » due à ceux qui nous ont transmis le langage. Ce fantasme est symptomatique d’un affaiblissement de la dimension Symbolique, et d’une majoration de la dimension Imaginaire. 67

La présence d’une tierce personne indispensable à l’instauration de l’ordre symbolique ayant été écartée, le nouage entre l’ordre symbolique et l’ordre imaginaire devient problématique. Nicholas se complaît dans les identifications narcissiques, les relations duelles dont la visée n’est autre que la réalisation d’une unité fusionnelle. Cela explique sa façon de concevoir sa relation à Alison comme une relation de complétude, et sa façon de voir en Lily/Julie l’image en miroir de lui-même.

La troisième allusion à Honoré d’Urfé à l’avant-dernière page du roman ne se présente pas cette fois-ci sous la forme de filiation imaginaire mais par une évocation du texte de L’Astrée :

‘Perhaps it had all been to bring me to this, to give me my last lesson and final ordeal … the task, as in L’Astrée, of turning lions and unicorns and magi and other mythical monsters into stone statues. (p. 655)’

Nicholas place, alors, sur un autre niveau le rapport entre lui et l’écrivain, qui est maintenant celui de la fiction littéraire. Ainsi il ne peut que constater le vide de la place du père :

‘They had absconded, we were alone. I was so sure, and yet… after so much, how could I be perfectly sure? How could they be so cold, so inhuman – so incurious? So load the dice and yet leave the game? (p. 655)’

C’est cette absence qui permet au sujet d’advenir. Disparus les lions, les licornes et les autres monstres mythiques dont font partie les mages ; et à la place des statues de pierre, “stone statues”. Ces dernières jalonnent le cimetière de ses illusions, évoquant la mort à la fois par la pierre tombale et également par allusion à la statue du Commandeur dans Don Juan qui vient ici faire prendre conscience à Nicholas des conséquences de son « donjuanisme ». Les semblants se défont et comme les monstres marquent toujours le lieu de la Chose interdite, l’objet absolu, impossible à atteindre, nous pouvons ici faire écho à la phrase de Freud sur les conditions de l’émergence du sujet : « Wo Es war, soll ich werden », là où ça était, je doit advenir.

L’on semble passer dans ce passage de la langue en tant que production de signification à un fonctionnement différent. Les allitérations qui surgissent dans le texte (« magi and other mythical monsters into stone statues ») lient les signifiants entre eux par autre chose qu’un simple rapport de sens. Le langage éclate et les mots se décomposent permettant de lire inscrit dans le nom du père mythique « Urfé », Ur, l’origine.

Il est intéressant de remarquer que Fowles lui-même reconnaît que le nom Urfe provient de sa propre « lalangue » qui, rappelons le, est :

‘(…) notre façon singulière de nous approprier le langage commun, de le détourner de sa fonction de communication intersubjective pour en faire un outil à l’usage d’une jouissance privée. 68

Enfant, Fowles ne parvenait pas à prononcer « earth » et prononcait le th comme f. Cette « lalangue », qu’il faut distinguer du langage qui est partagé par tous ceux qui parlent, est faite avant tout de substances phoniques et relève ici de la propre langue maternelle de John Fowles, de sa jouissance. Il y a quelque chose qui vient en supplément à la fonction de communication du langage qui nous dit quelque chose sur le travail qu’accomplit l’auteur, en transposant pour dire entre les lignes ce qui ne peut se dire autrement. Le signifiant gommé par ce qui est ici le nom du père (Urfe/earth) est un signifiant maternel ; dans la mythologie grecque une divinité, Ge ou Gaia, personnifie la terre en tant que mère nourricière universelle. Dans le contexte du roman il peut renvoyer également à la cachette de Lily/Julie “the earth” qui est l’antichambre ou la matrice de l’imaginaire à l’œuvre à Bourani.

Dans l’éclatement du signifiant du nom du père “Urfe ”, il en ressort que bien qu’il contienne quelque chose de l’origine « ur », il ne peut se réduire à cela, il ne peut tenir lieu de ce qui manque au sujet. Au contraire, il renvoie ailleurs, au langage qui permet l’émergence du sujet qui vient s’y inscrire, en l’aliénant à tout jamais du lieu d’où il vient, en y plaçant une interdiction. L’attitude de Nicholas est perverse dans la mesure où il utilise le nom du père, c’est-à-dire ce qui instaure la loi en décrétant « l’exclusion de la Chose en tant que Réel impossible » 69 , pour abolir le manque et lui donner accès à la Chose. Ainsi la castration symbolique est rendue inopérante par la mainmise de Nicholas sur son origine.

La problématique identitaire, si mal résolue, reviendra comme un leitmotiv tout au long du roman. Au début de leur relation Alison lui pose la question “Are you going to be you for ever ? ” (p. 29). Alison, nous l’avons noté, est celle qui place toujours des obstacles à l’identité imaginaire que Nicholas tente de se conférer ; elle est la fleur en trop dans les attributs du sorcier du Tarot que Nicholas trouve sur la tombe de Conchis à Athènes, ou encore elle est celle pour qui il n’y a aucun rôle dans le palimpseste de The Tempest que Nicholas imagine comme explication des événements qui se déroulent sur l’île de Phraxos. La question qu’elle lui pose est de savoir en effet s’il va continuer à se complaire dans l’image qu’il se fait de lui-même ou s’il va tenter de briser le miroir et du même coup accepter la véritable division subjective qu’il s’acharne à nier. Alison est celle qui refuse les fictions identitaires de Nicholas dont le Bildungsroman n’est que l’habillage imaginaire. C’est elle qui pose les vraies questions qui dérangent comme celle qu’elle pose dans la lettre qu’elle écrit à Nicholas lors de leur rupture au milieu du roman quand elle apprend l’existence de Conchis et Lily :

‘Think what it would be like if you got back to your island and there was no old man, no girl any more. No mysterious fun and games. The whole place locked up for ever. (p. 278)’

Au-delà de sa signification immédiate dans le texte, la question d’Alison porte sur l’inexistence de l’Autre, et c’est précisément de cela qu’il s’agit à la fin du roman.

En écho à ce questionnement, à la fin de la deuxième partie du roman, Nicholas enfin s’interroge “ What was I after all ? ” (p. 539), et apporte la réponse suivante :

‘(…) all my life I had tried to turn life into fiction, to hold reality away ; always I had acted as if a third person was watching and listening and giving me marks for good or bad behaviour – a god like a novelist, to whom I turned, like a character with the power to please, the sensitivity to feel slighted, the ability to adapt himself to whatever he believed the novelist-god wanted. (p. 539)’

Cette réponse vient en contrepoint à sa tentative initiale de s’inscrire lui-même dans le langage sans passer par le symbolique comme il le faisait lorsqu’il s’identifiait aux héros des romans existentialistes.

Cette méprise est ce qui détermine son action tout au long du roman où il se crée des rôles et adopte des masques fictionnels, se voyant à travers d’autres personnages de fiction. Il s’agit d’une forme de filiation imaginaire et nous sommes ici au cœur de son problème identitaire. Tout au long du roman le rôle qu’adopte Nicholas est celui d’un usurpateur, celui qui prend une place qui n’est pas la sienne. Ce faisant ne répète-t-il pas, à son insu, le geste de son père réel, le plus jeune de quatre fils, qui prend la place de ses frères et assume le rôle du fils aîné :

‘My grandfather had four sons, two of whom died in the First World War; the third took an unsavoury way of paying off his atavism (gambling debts) and disappeared to America. He was never referred to as still existing by my father, a youngest brother who had all the characteristics that eldest sons are supposed to possess (…). (p. 16)’

C’est ainsi qu’agit Nicholas au début du roman en assumant la place du père dans son fantasme d’auto-engendrement en faisant l’économie de la « castration symbolique ». Cela se répétera par la suite dans sa relation aux femmes. Alison est déjà « fiancée » lorsque Nicholas la rencontre et Maggie, la sœur de son « fiancé » met en garde Nicholas, mais il choisit de ne pas tenir compte de cet avertissement qui, loin de le dissuader d’agir, semble même l’inciter à séduire Alison. Cette situation s’avère n’être pas tout à fait exacte puisque Alison place cette histoire de fiançailles dans le domaine de la fiction lorsqu’elle lui dit :

‘‘Engaged is Maggie talk. We’re not like that.’ She half flicked a glance at me. ‘Free people.’ (p. 26)’

De façon analogue Lily/Julie, la fille rencontrée sur l’île de Phraxos, apparaît d’abord dans le rôle de la fiancée de Conchis dans le masque joué à l’intention de Nicholas. Elle se trouve donc, par rapport à lui, dans le rôle de la femme interdite, qui, rappelons-le, dans notre civilisation, est la place de la mère. Nicholas tente d’inscrire sa relation avec Lily/Julie dans l’intertexte de The Tempest, qu’il prend littéralement en s’attribuant le rôle de Ferdinand face à Lily /Julie qu’il place dans le rôle de Miranda. Ainsi commet-il la même erreur que précédemment lorsqu’il s’était identifié aux anti-héros des romans existentialistes. Pourtant Conchis le met en garde contre cette attitude en lui enjoignant de ne jamais prendre un autre être humain au pied de la lettre : “Never take another human being literally” (p. 231).

L’allusion de Conchis fonctionne à plusieurs niveaux, s’appliquant non seulement à la façon dont Nicholas appréhende Lily mais également à la façon d’appréhender son hôte lui-même et les histoires qu’il raconte à Nicholas.

Or, le rapport entre la pièce de Shakespeare et le roman est un rapport métaphorique, qui est un type de rapport que Nicholas, qui cherche des rapports immédiats, a du mal à admettre car il implique la séparation et non pas la fusion, ou tout au moins un vacillement entre ce qui est dit et ce qui est passé sous la barre de la métaphore. The Tempest est une pièce qui parle avant tout de la filiation et de l’usurpation qui est également la problématique du roman. Cependant, même si elle nous dit quelque chose sur le roman, elle ne peut en aucun cas être réduite à une simple clé de lecture qui est l’utilisation que Nicholas en fait. Ce faisant, il essaie une nouvelle fois d’ancrer son histoire propre dans une origine bien précise et contrôlée par lui et d’inscrire la fin à l’avance. Il s’agit pour lui d’une réécriture à l’identique de la pièce.

Par ailleurs, Nicholas, en se mettant au centre du roman dès l’incipit, semble là aussi occuper une place qui n’est pas la sienne. Le titre du roman, The Magus, renvoie, non pas à Nicholas mais à Conchis. Parallèlement, le type même du roman, le Bildungsroman, ne renvoie-t-il pas à une période révolue, le dix-neuvième siècle, qui serait, selon Jean-Michel Rabaté « le paradis perdu du roman anglais ». 70 Ou comme l’affirme Peter Conradi, en parlant d’un autre roman de John Fowles, The French Lieutenant’s Woman  :

‘(…) the Victorian novel can be pastoralized as a place Edenically unaware of its own conventionalization, awaiting like Milton’s Adam that felix culpa of a Fall into Modernity which will enable it to start to know itself. 71

Il y a un écart infranchissable entre la forme du Bildungsroman, qui ne peut être récupérée telle quelle, et toute tentative de la recréer au vingtième siècle.

Le Bildungsroman fonctionne essentiellement comme les allusions à d’autres textes. Dans les deux cas il s’agit d’un retour en arrière vers une origine. Or, le texte cité, comme la forme romanesque en question, ne sont pas récupérables tels quels ; on ne peut réécrire The Tempest aujourd’hui, pas plus que l’on ne peut écrire un Bildungsroman du dix-neuvième siècle. Dans l’intertextualité nous avons affaire à des fragments, des restes, des signes de l’impossibilité de la complétude vers laquelle le roman tend sans y parvenir. Il s’agit tout au plus d’objets « pas-tout », de bribes non-totalisables, comportant à la fois des résonances familières tout en les marquant d’une étrangeté inquiétante, car ce qui se dresse derrière est la menace de la castration tant redoutée.

Par son départ en Grèce, Nicholas croit échapper à Alison qui semblait représenter une menace pour l’identité imaginaire qu’il s’était construite. Le franchissement de la frontière est également un franchissement des limites, une manière de combler la béance initiale et de satisfaire un souhait interdit. Sa destination, l’île de Phraxos (en anglais « island » peut nous faire entendre « I-land »), est le lieu de l’imaginaire, et la partie du roman qui s’y déroule — et qui semble démesurément longue par rapport aux deux autres parties — correspond en fait à l’inflation imaginaire.

Dans un essai publié en 1964 intitulé I write, therefore I am, où il parle de son métier d’écrivain, John Fowles écrit :

‘To write a novel in 1964 is to be neurotically aware of trespassing, especially on the domain of the cinema. 72 (mes italiques)’

Cette notion de « trespassing » prend tout son sens dans cette deuxième partie du roman : aller là où l’on ne doit pas, franchir un interdit. Cela se passe d’abord pour Nicholas, au niveau de la diégèse, quand il pénètre dans le domaine de Conchis. Ce qui est remarquable est que la première fois que Nicholas entre dans le domaine il perçoit un panneau insolite :

‘Then I saw it. I went through the gap. It was two or three trees in, barely legible, roughly nailed high up the trunk of a pine, in the sort of position one sees Trespassers will be prosecuted notices in England. But this notice said, in dull red letters on a white background, SALLE D’ATTENTE. (…) It was Mitford’s warning: Beware of the waiting-room. (p. 71)’

A la place de l’interdit attendu il trouve un panneau qui ressemble davantage à une invitation d’autant plus qu’il fait écho à l’étrange mise en garde que lui a lancée son prédécesseur avant son départ de Londres :

‘‘Well, all the best, old man.’ He grinned. ‘And listen.’ He had his hand on the door-handle. ‘Beware of the waiting-room.’ (p. 45)’

Cependant, lorsque Conchis mettra un terme au masque qui se déroule à Bourani, apparaîtra enfin l’interdit :

‘I came to Bourani about half past three. The gap beside and the top of the gate had been wired, while a new notice covered the Salle d’attente sign. It said in Greek, Private property, entrance strictly forbidden. (p. 546)’

De façon analogue, “trespassing” signifie pour Fowles, au niveau de l’écriture, tenter d’arracher quelque chose à cet Autre imaginaire qui est le roman du dix-neuvième siècle ou la littérature en général.

Nous pouvons en conclure que tous ces éléments constituent une tentative de circonscrire quelque chose dans le texte, de faire aboutir ce texte où serait enserré un sens qui aurait le dernier mot, qui dirait tout, à une complétude qui relève purement et simplement de l’Imaginaire. Cette tentative, vouée à l’échec et qui échoue chaque fois, insiste et renaît sous une forme différente créant cet effet de surdétermination. Face à cet impossible de dire le tout, la réponse de l’auteur sera de refuser toute unité factice qui, en fin de compte, ne pourrait apporter satisfaction, et de chercher au contraire à élaborer une esth-éthique sur cette incomplétude, une forme toute personnelle de « je sais que cette complétude est impossible mais quand même…  » qui sera le caractère fondamental de toute l’œuvre de John Fowles dont The Magus constitue la première pierre.

Notes
65.

Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, (Paris, Gallimard Tel, 2002) p. 43.

66.

Ibid., p. 36.

67.

Annie Ramel, op. cit., p. 72.

68.

A. Szulzynger-Bernole, Par-Lettre, revue de l’Association de la Cause Freudienne, septembre 1999, p. 4.

69.

Nestor Braunstein, op. cit., p. 93.

70.

Jean-Michel Rabaté, « La fin du roman et les fins des romans », Etudes Anglaises, XXXVI : 2-3, Avril-Sept. 1983, pp. 197-212.

71.

Peter Conradi, op. cit., p. 19.

72.

John Fowles, “I write, therefore I am”, dans Wormholes, (London, Jonathan Cape, 1998, p. 7).