Les trois rencontres

Néanmoins, comme il le fait systématiquement avec les filles, dès leur première rencontre, Nicholas tente de constituer Alison par rapport à lui-même. Cette façon de construire une relation sexuelle revient à assimiler ou s’approprier l’autre par la négation de sa véritable singularité. Nicholas agit comme si autrui n’était qu’une continuation de lui-même et non une rupture. En la décrivant d’abord comme “a girl of about my own age” (p. 23), il la rend familière et tente de déjouer la menace de sa différence qui la placerait hors de son contrôle. Il assoit ce contrôle en lui attribuant les signifiants qu’auparavant il appliquait à lui-même avec une insistance particulière sur le signifiant “odd” qui représentait pour lui le signifiant de sa propre originalité, sa propre différence. A Oxford Nicholas appartenait à un groupe qui se voulait différent des autres et dont il parlait en tant que “odd men out” (p. 17). Or, ce signifiant revient deux fois dans la description initiale d’Alison et est repris plus tard, ce qui le met particulièrement en valeur. La première fois il décrit les cheveux d’Alison qui la distinguent des autres filles et qui sont signe de sa féminité, c’est-à-dire de son altérité :

‘Her long hair was not quite blonde, but bleached almost to that colour. It looked odd, because the urchin cut was the fashion: girls like boys, not girls like girls. (p. 23)’ ‘The waif (Alison) gave the older girl an oddly split look, half guilty and half wary. (p. 23)’

Les signifiants semblent passer de l’un à l’autre à l’exemple de “wary” qui, attribué d’abord à Alison, devient un autre signifiant commun puisque le narrateur le reprend : “we [Nicholas and Alison] exchanged wary smiles” (p. 24). Ce qui est évoqué ici est de l’ordre de la circonspection, de la méfiance. Cela pourrait signifier qu’ils représentent un danger l’un pour l’autre ; Nicholas pour Alison parce qu’elle est déjà « fiancée » et Alison pour Nicholas qui venait juste d’exprimer sa méfiance vis-à-vis des femmes en affirmant vouloir les éviter au moins pendant quelque temps.

Mais, la similarité phonique et étymologique entre « wary » et « aware », peut évoquer le conscient par opposition à l’inconscient, un jeu entre ce qui se dit et ce qui ne se dit pas directement. L’homophonie pourrait même nous faire entendre « ware », la commodité ou la marchandise, qui, comme nous l’avons dit, définit bien la manière dont Nicholas conçoit ses relations aux femmes. Ainsi il la constitue comme objet et dans la relation spéculaire qu’il établit, projette sur elle une intention identique.

Alison, dont nous avons indiqué le rôle de spectre sonore dans le roman, reprend ce signifiant de façon indirecte et le transforme en le subvertissant pour dire quelque chose sur sa relation à Nicholas qui lui ne voulait ou ne pouvait entendre. Ce qu’elle lui signifie, cependant, ne se laisse pas dire directement et ne cadre pas avec la conception que Nicholas entretient de cette relation. Elle lui fait cadeau d’un stylo plume de grande valeur qu’elle avoue avoir volé :

‘She poured herself a whisky. ‘Santé. I hate big stores. And not just capitalists. Pommy capitalists. Two birds with the one steal. Oh, come on, sport, smile.’ She put the pen in my pocket. ‘There. Now you’re a cassowary after the crime. (p. 32)’

Ce faisant elle lui fournit des objets de substitution car elle souhaite établir une relation où elle échapperait au comptage qu’il fait de ses conquêtes. Le jeu de mots sur “accessory” et “cassowary” crée d’autres résonances dans le texte, reprenant notamment “wary” et créant une association de plus entre les deux personnages. Le prisme d’Alison réfracte le simple signifiant “wary” en une multiplicité de sens et d’associations possibles, qui signifie autant par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il dit.

A un premier niveau, Alison fait jouer l’homophonie “accessory” / “cassowary” pour détourner les expressions juridiques anglaises qui désignent la complicité dans un crime (“accessory after the fact” et “accessory to a crime”), et elle les combine en une seule expression en substituant “crime” pour “fact”. Si le crime est ce qui les unit nous devons nous rappeler que Nicholas utilise le même signifiant pour désigner ses relations sexuelles antérieures :

‘I contrived most of my affaires in the vacations, away from Oxford, since the new term meant that I could conveniently leave the scene of the crime.(mes italiques) (p. 21)’

La différence entre sa relation avec Alison et ses relations antérieures est qu’il n’est pas présenté ici comme l’auteur du crime mais placé dans le rôle de complice, voire comme un acteur accessoire. Le déplacement de Nicholas sous-entend que l’amour ne peut tourner autour du « je » mais fonctionne comme un tourniquet où le « je » doit devenir un « tu » pour un autre « je ».

Le signifiant “cassowary” est le pivot du jeu qui se met en place. Il désigne un large oiseau de la famille de l’émeu ou de l’autruche, natif de la Nouvelle Guinée ou d’Australie. L’oiseau renvoie donc à ce qui est australien par opposition à ce qui est anglais. Il évoque également l’opposition entre Nicholas et Alison, ce qui les sépare, qui fait leur différence plutôt que ce qui les unit. Ainsi l’attitude d’Alison tranche avec l’attitude de Nicholas d’assimilation, de gommage des différences. Elle met constamment le doigt là où cela fait mal, ce que Nicholas ne peut supporter car cela le remet en cause. L’oiseau se rattache aussi aux éléments qui évoquent la double nature d’Alison remarquée d’emblée par Nicholas :

‘I noticed she had two voices; one almost Australian, one almost English. (p. 23)’

Cette voix pose problème à Nicholas, et l’empêche d’assigner une place à Alison avec certitude. De sorte que la voix d’Alison joue un rôle important dans la première partie du roman où la relation entre Nicholas et Alison prend consistance. A ce moment-là dans le roman Nicholas se montre incapable d’accepter la différence dont la voix est un signe révélateur. Ainsi, lorsqu’il rencontre un ancien ami d’Oxford il se croit obligé de dénigrer sa relation avec Alison :

‘Alison said very little, but I was embarrassed by her, by her accent, by the difference between her and one or two debs who were sitting near us. She left us for a moment when Billy poured out the last of the Muscadet.
‘Nice girl, dear boy.
‘Oh…’ I shrugged. ‘You know.’
‘Attractive.’
‘Cheaper than central heating.’
‘I’m sure.’
But I knew what he was thinking. (p. 36)’

Pour rendre leur relation, qui le trouble, plus acceptable, Nicholas tente de réduire cette différence, de rendre Alison plus conforme à l’image idéale qu’il se fait d’elle en effaçant ce qui lui pose problème :

‘Out of bed I felt I was teaching her, anglicizing her accent, polishing off her roughness, her provincialisms; in bed she did the teaching. (p. 35)’

Dans la réciprocité que crée Nicholas ici, dans ce rapport duel donnant-donnant, se mêlent textualité et sexualité. Il s’agit surtout d’une tentative de négation de la différence, de domestication de ce qui le menace. Cependant il ne parvient pas à cerner ce qu’Alison lui apporte et qui ne rentre pas dans le cadre de la réciprocité qu’il érige. Dans le même paragraphe il passe de cette réciprocité au constat d’un plus, un supplément, dont il ne sait trop que faire :

‘We both had something to give and to gain … and at the same time a physical common ground, the same appetites, the same tastes, the same freedom from inhibition. She was teaching me other things besides the art of love; but that was how I thought of it at the time. (p. 35)’

L’irréductibilité d’Alison, qui fait surface précisément là où l’on tente de la réduire, fait surgir momentanément un Nicholas divisé par l’énonciation et qui est signalé par “at the time”. Cela préfigure le rôle qu’elle jouera à la fin du roman pour briser le miroir où il se complaît à regarder sa propre image.

La capacité que possède Alison de dire les choses directement, sans détour, ne permet pas à Nicholas de se fabriquer un masque, une identité imaginaire. Ce “strange salty directness’’ (p. 24) qu’il détecte dans la voix d’Alison, contrastant avec l’habitude anglaise de ne pas dire ce que l’on pense, illustrée par l’attitude de son ami d’Oxford, le met mal à l’aise. Encore une fois Alison combine la textualité, suggérée par la voix, et la sexualité, suggérée par le signifiant “salty” dont l’un des sens, tombé un peu en désuétude aujourd’hui, est « salace », porté aux plaisirs sexuels. Ce terme pouvant désigner un animal femelle en rut.

C’est ce côté australien d’Alison que Nicholas déteste et rejette parce que c’est ce qu’il ne parvient pas à maîtriser, ce qui fait que la vérité d’Alison lui échappe, qu’elle reste pour lui une énigme :

‘‘That’s why I’ve got this crazy between voice. It’s Mum and Dad living out their battles again every time I open my mouth. I suppose it’s why I hate Australia and I love Australia and I couldn’t ever be happy there and yet I’m always feeling homesick. Does that make sense?’
She was always asking me if she made sense. (p. 33)’

L’incapacité de Nicholas à comprendre Alison et tout ce qui n’entre pas dans son monde imaginaire lui est davantage soulignée par la comparaison qu’elle établit entre Nicholas et le casoar, l’oiseau qui ne peut pas voler. Cela contraste avec son désir de prendre son essor exprimé à la fin du premier chapitre où il décide de quitter l’Angleterre :

‘It poured with rain the day I left. But I was filled with excitement, a strange exuberant sense of taking wing. (p. 19)’

Bien qu’il choisisse de l’ignorer, la remarque d’Alison reste comme un avertissement qui le ramène sur terre et laisse entendre que son aveuglement ne peut que le mener, à l’instar d’Icare, à la chute. Les mêmes termes reviennent pour décrire les sentiments de Nicholas lorsqu’il croit se libérer à la fois de l’emprise d’Alison et de l’emprise de l’Angleterre :

‘So on top of the excitement of the voyage into the unknown, the taking wing again, I had an agreeable feeling of emotional triumph. (p. 48)’

Libre d’Alison et croyant avoir remporté une victoire, Nicholas rejette l’image du casoar pour prendre celle d’un oiseau qui prend son envol. Le réveil à la réalité se révèle rapidement douloureux. Associant une nouvelle fois sexualité et textualité la découverte de son manque de talent poétique se double de la découverte qu’il a attrapé la syphilis dans un bordel à Athènes et, impuissant, il ne peut que constater :

‘The world around me took wing, and I was stuck to the ground. (p. 60)’

Cependant, à pousser plus loin la comparaison de Nicholas au casoar, il en ressort que son identité anglaise n’est pas aussi transparente qu’il voudrait le faire croire. L’oiseau des antipodes l’associe à Alison, la fille des antipodes, et suggère qu’il partage quelque chose avec elle, un aspect de lui-même jusque-là ignoré ou méconnu mais qu’un jour il lui faudrait reconnaître. Cela permettrait de mieux comprendre ce qu’il dit à Alison à la fin du roman, lors de leur ultime rencontre, où il semble accepter ce qu’il refusait d’admettre jusqu’alors et qui lui est pourtant essentiel :

‘‘I understand that word now, Alison. Your word.’ Still she waited, face hidden in her hands, like someone being told of a tragic loss. ‘You can’t hate someone who’s really on his knees. Who’ll never be more than half a human being without you.’ (p. 655)’

Le signifiant “word” peut renvoyer à l’oxymore qui définit Alison, qui signifie la conjonction de ce qui est, par définition, incompatible. L’oxymore, en reliant deux choses qui ne peuvent former un tout, trace les contours d’un impossible à dire et empêche la complétude. Reconnaître l’aliénation d’Alison est, pour Nicholas, une étape essentielle pour pouvoir enfin dire « je » et devenir sujet de la parole dans le sens d’assujetti au langage.

Dans l’expression “cassowary after the crime” la deuxième substitution fait surgir le signifiant “crime” là où l’on attend “fact” et évoque la culpabilité. Paradoxalement ici, cette culpabilité n’est pas ressentie par Alison, qui est pourtant l’auteur du vol du stylo, mais par Nicholas. Il y a donc déplacement de cette notion qui ne s’applique plus au délit qui devrait l’occasionner mais s’attache davantage à Nicholas et à la relation qu’il est en train d’établir avec Alison, que cette partie du roman s’efforce de décrire. Ce sentiment de culpabilité s’explique en partie par le fait qu’elle est la femme d’un autre et en partie par la nature du rapport sans reste, basé sur l’assimilation, la possession totale, qu’il cherche à établir. Une situation analogue va se produire de façon plus nette et plus insistante dans la deuxième partie du roman où il cherche à établir des rapports avec Lily/Julie qu’il perçoit également comme la femme d’un autre et qu’il tentera de posséder par assimilation.

La reprise du signifiant “wary” dont Nicholas s’est servi d’abord pour établir une relation entre lui-même et Alison et son détournement subséquent par celle-ci est mis en relief par le retour de l’autre signifiant commun, “odd” :

‘She gave me an odd little smile, half tender, half mocking, and went away to peel potatoes. And I knew that in some obscure way I had offended her; and myself. (p. 33)’

Nicholas sent obscurément, de façon inconsciente, qu’à travers ce qui s’est passé Alison lui a signifié quelque chose d’important sur ce qui fait lien entre eux. Elle joue ce rôle de révélatrice par ailleurs lorsqu’elle lui fait sentir par exemple, que ce qu’il croit être sa singularité, son “oddness”, est imaginaire :

‘‘You say you’re isolated, boyo, but you really think you’re different.’ She broke my hurt silence by saying, too late, ‘You are different.’ (p. 35)’

La pause ne signifie pas qu’elle nie sa singularité mais que sa différence n’est pas celle qu’il imagine. Pour Alison, par contre, le signifiant “odd” semble plus approprié. Elle est dans la position du tiers qui pourrait permettre à Nicholas de sortir de la relation duelle impossible qu’il essaie de créer, ce qui rejoint l’étymologie de “odd” qui signifie une troisième personne ou une personne en plus dont le vote fait la décision. 80

Alison souligne sa singularité en se différenciant des autres filles que Nicholas a connues par son refus de se laisser compter. Après avoir couché avec lui pour la première fois, elle se remet en question et n’accepte pas qu’il lui dise que des milliers de filles font comme elle. Elle affirme sa singularité en opposition à la comptabilité : “ ‘I’m not thousands of girls. I’m me.’ ” (p. 30)

Le signifiant qui est escamoté par “cassowary”, qui n’est pas dit, prend toute son importance dans cette perspective car “accessory” renvoie également à ce qui est en position subordonnée. Par cette substitution, Alison décentre Nicholas et lui mi-dit quelque chose de la vérité de sa position de sujet.

Nicholas ne comprend pas ce qu’elle essaie de lui apprendre et réagit en essayant sans cesse de l’assimiler à lui, de créer un rapport de fusion qui fait disparaître l’autre :

‘I suddenly had a feeling that we were one body, one person, even there ; that if she had disappeared it would have been as if I had lost one half of myself. (p. 35)’

Elle lui pose problème non seulement en tant que femme, “Alison was always feminine ; she never, like so many English girls, betrayed her gender” (p. 31), mais surtout en tant que femme « pas-toute », “her sum was extraordinarily more than her parts” (p. 31). Elle n’est pas toute dans sa relation à lui, une part inassimilable lui échappe représentant une jouissance à laquelle il ne peut accéder. La description qu’il en fait la relie au roman et à la problématique de l’écriture car l’extraordinaire combinaison d’éléments qui permettent de postuler la surdétermination du roman pourrait également se dire « une somme qui est bien davantage que la simple addition des parties qui la composent. » Ainsi la notion de féminité serait liée à la création artistique.

Pour tenter de circonscrire l’énigme qu’elle lui pose il la réduit métaphoriquement à un trope:

‘She was bizarre, a kind of human oxymoron. (p. 24)’

L’oxymore, le trope qui relie deux éléments apparemment contradictoires mais qui ne se réduit ni à l’un ni à l’autre, lui paraît particulièrement apte à la décrire. Ce faisant, il fait d’Alison un être de paroles créé par lui et donc dépendant de lui dans sa position de maîtrise. Cette situation s’inverse lorsque Alison souligne l’anagramme de leurs prénoms créant un lien qui se soutient de la lettre et non d’un rapport de domination phallique. L’oxymore tente de dire quelque chose qui échappe à la signification alors que la lettre, même si elle établit un lien, reste silencieuse.

‘(…) something I couldn’t define, obscure, monstrous, lay between us, and this monstrous thing emanated from her, not from me. (p. 37)’

Il y a quelque chose du « réel », de la « chose » (“some/thing”) qui empêche l’identification, la fusion en un seul corps. Le signifiant « monstrous » (du latin monstrare, donner à voir) qui se répète à deux moments-clé du roman évoque le désir de régression de Nicholas de parvenir à un savoir/ça-voir impossible sur la jouissance, et de l’horreur que cela recèle. Il nous renvoie d’abord à l’évocation des parents de Nicholas dans l’incipit derrière lesquels se profile la figure inquiétante d’une mère effroyable personnifiée par la reine Victoria dont le nom relève de l’isotopie militaire :

‘I was born in 1927, the only child of middle-class parents, both English, and themselves born in the grotesquely elongated shadow, which they never rose sufficiently above history to leave, of that monstrous dwarf Queen Victoria. (p. 15)’

Ce signifiant resurgit dans le texte lorsque Nicholas apprend la « mort » d’Alison qui évoque pour lui les circonstances dans lesquelles il avait appris la mort de ses parents. Cette fois-ci dans une fulgurance de vérité le signifiant “monstrous” s’attache non pas aux autres mais à lui et fait ressortir la vraie nature de son « crime » :

‘My monstrous crime was Adam’s, the oldest and most vicious of all male selfishness: to have imposed the role I needed from Alison on her real self. (p. 400)’

Le désir de régression qui lui a fait supprimer ses parents du roman semble maintenant aboutir à la disparition d’Alison qu’il aurait provoquée par son comportement. Le choc produit par l’annonce de son « suicide » lui procure un moment de lucidité sur lui-même et constitue une étape dans son développement qui portera ses fruits à la fin du roman.

L’effet troublant produit sur Nicholas par Alison, qui se dresse contre l’identification, passe par le regard :

‘Her look was so direct I found it disconcerting. (p. 25)’

Ainsi pourrait-on dire que ce qui fait obstacle est l’oeil (“eye/I”) d’Alison, par lequel elle s’affirme en tant que sujet et refuse de se laisser réduire à la position d’objet pour le fantasme de Nicholas. Lorsque ce dernier reçoit le télégramme qui annonce la venue d’Alison à Athènes interrompant l’idylle qui s’annonçait entre lui et Lily/Julie c’est son œil (“eye/I”) qui est menacé :

‘Her radiogram was like grit in the eye when one particularly wants to see clearly. (…) it came like an intrusion – of dispensable reality into pleasure, of now artificial duty into instinct. (p. 202)’

Alison est dérangeante en tant qu’elle met en cause l’image unifiée que Nicholas a de lui-même, elle menace le monde imaginaire dans lequel il se meut et se complaît, et c’est cela qu’il ne peut accepter car cela équivaudrait à accepter la castration. En d’autres termes il refuse de se voir tel qu’il est au regard de l’Autre, un sujet divisé.

Ce rôle dérangeant d’Alison qui s’interpose entre Nicholas et l’image qu’il se fait de lui-même rappelle ce que Nicholas disait au début du roman de ses propres parents qui n’approuvaient pas son choix d’avenir :

‘During my last years at school I realized that what was really wrong with my parents was that they had nothing but a blanket contempt for the sort of life I wanted to lead. (p. 16)’

Ce rapprochement entre Alison et ses parents se renforce d’un lien qu’il établit entre sa première rupture avec Alison quand il la laisse pour partir en Grèce et la mort de ses parents. En pensant à son départ imminent il dit :

‘(…) I kept remembering, with intense relief, that I should soon be free of all this. (p. 41)’

Or, lorsqu’il apprend la nouvelle de la mort de ses parents dans un accident d’avion, ce sont les mêmes signifiants qu’il utilise pour exprimer les sentiments qu’il éprouve :

‘After the first shock, I felt an almost immediate sense of relief, of freedom. (p. 16)’

L’attention du lecteur est attirée sur un processus qui se répète, d’autant plus que ces mêmes signifiants resurgissent à chaque rupture d’une relation :

‘I mistook the feeling of relief that dropping a girl always brought for a love of freedom. (p. 21)’

En quittant Alison, Nicholas croit passer à une nouvelle étape de sa vie mais il ne fait que tourner en rond, répétant avec Alison le même processus de séparation imaginaire qu’avec ses parents ou avec ses conquêtes précédentes.

Les différentes strates de signification de « relief » se combinent dans l’isotopie de la métaphore paternelle. Parmi les définitions que donne le New Shorter Oxford English Dictionary nous trouvons :

Law. A payment made to the overlord by the heir of a feudal tenant on taking up possession of a vacant state.’ ‘ Law. Release from or remission of an obligation or imposition. 81

En d’autres termes la disparition du père équivaut à une mise entre parenthèses de la loi paternelle qui assigne à chacun sa place dans la constellation familiale. La première définition fait ressortir la problématique de la filiation, de l’hérédité et signifie qu’il y a un prix à payer pour assumer cette place vacante. A Nicholas, qui n’effectue pas ce paiement, qui ne reconnaît pas cette dette symbolique à l’Autre du langage, il sera rappelé plus tard que pour entrer dans le symbolique, pour accéder à la position du sujet, il faut céder de la jouissance. Tant qu’il ne l’aura pas fait, aucune relation avec Alison ne sera possible.

Notes
80.

The New Shorter Oxford English Dictionary (Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 1977).

81.

op. cit., vol 2, p. 2537.