Le premier récit

Dans son premier récit Conchis renvoie à Nicholas une image à laquelle il peut s’identifier en raison des nombreuses similitudes entre l’expérience de l’un et de l’autre. Répudié par son père après sa désertion de l’armée anglaise, Conchis s’enfuit en Argentine jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale et jusqu’à la mort de son père qui ne lui avait jamais pardonné sa conduite :

‘‘But then the war ended. My father died soon after. Though he never forgave me, or my mother for having helped me, both into his world and out of it, he was sufficiently my father to let sleeping dogs lie. So far as I know my disappearance was never discovered by the authorities. My mother was left a sufficient income. The result of this was that I returned to Europe and settled in Paris with her.’ (p. 71)’

Nicholas, lui, nous l’avons vu, avait renié ses parents et surtout son père à qui il reproche même la mort de sa mère :

‘He took my mother with him. (p. 16)’

La position de Conchis peut lui sembler enviable car en rejetant, comme son hôte, la vie militaire incarnée par son père, Nicholas donne libre cours au fantasme de régression et part à la recherche d’une unité originaire, mythique, perdue, qui semble accessible à travers les avatars maternels que sont Alison au début, puis Lily/Julie. Toutes deux, rappelons-nous, sont présentées au départ comme les femmes d’un autre, frappées donc par un interdit. Chez Alison comme chez Lily ce qui intéresse Nicholas n’est pas tout ce qui les différencie de lui mais les points de similitude qui permettent la fusion.

En ce qui concerne Alison, nous pouvons relever que Nicholas attribue à Maggie, la colocataire de cette dernière et sœur de son « fiancé », un rôle maternel :

‘In a minute Margaret, one of those fat girls who mother thin girls, pushed them away. (p. 23)’

A la prendre à la lettre, cette remarque place Alison dans une position quasi-incestueuse – ce qui reflète la position de Nicholas qui, nous l’avons vu, tente de construire Alison par rapport à lui-même comme un miroir. Ce faisant il place la rivalité entre le fiancé, Pete, et lui sur le plan d’un conflit inter-générationnel et quasi-œdipien. De même, Lily, qui joue la fiancée de Conchis, est placée dans un rapport avec un homme d’une autre génération et, qui plus est, joue un rôle paternel non seulement par rapport à Nicholas mais également par rapport à elle-même. 83

Ainsi appâté par le premier récit, Nicholas ne peut que remarquer les similitudes entre sa propre position et celle de Conchis dans les autres récits et il y voit la promesse de la récompense finale, l’union avec Lily/Julie. Aveuglé par son désir, il ignore les avertissements qui parsèment les récits et qui ne révéleront que rétrospectivement leur pertinence.

Notes
83.

Ainsi en parlant de l’attitude de Conchis envers lui, Nicholas dit “he touched my shoulder paternally” (p. 154). Plus tard il constate une attitude similaire envers Lily/Julie : “He turned paternally to Julie” (p. 311).