Le retour

Le retour à Londres dans la dernière partie du roman doit apprendre à Nicholas à faire le deuil de l’Autre imaginaire et du paradis perdu, ce lieu magique, narcissique où il ne se trouvait que trop bien. Le moment crucial intervient lors de la disparition de l’Autre imaginaire, lorsque Nicholas, acceptant l’absence définitive de Conchis, va au-delà du principe de plaisir ou déplaisir :

‘The final truth came to me, as we stood there, trembling, searching, between all our past and all our future; at a moment when the difference between fission and fusion lay in a nothing, a tiniest movement, betrayal, further misunderstanding.’ ‘There were no watching eyes. The windows were as blank as they looked. The theatre was empty. It was not a theatre. (p. 654)’

Cette constatation de l’indifférence de la réalité permet à Nicholas de se dégager des jeux de mystères à déchiffrer, à interpréter, qui fonctionnaient comme autant de leurres imaginaires où il s’était laissé complaisamment prendre. La disparition du théâtre fait disparaître en même temps l’intertexte Shakespearien comme clé du roman. Le regard de l’Autre que Nicholas interprétait comme malveillant est en fait vide.

La cohérence des trois premiers récits de la vie de Conchis établie sur la base de la continuité se brise lorsque ce dernier révèle que tout était inventé et que seul le quatrième récit correspondait à un épisode réel de sa vie. Conchis ne peut pas être réduit à l’image ou plutôt aux images successives et souvent contradictoires que Nicholas s’en fait. Comme Alison, il est « pas-tout », où la somme ne peut être réduite à la simple addition des parties qui la composent. En disparaissant du texte il cède la place dans la troisième partie du roman justement à une femme, Lily de Seitas, qui sera en quelque sorte sa contre-partie en Angleterre. L’intervention féminine est rendue nécessaire par la suraccumulation de figures de l’Autre paternel jusqu’à l’Autre ravageur. Que cet Autre soit relégué à l’Imaginaire souligne son incapacité à fonctionner de façon efficace.

Ainsi Conchis se fait, comme la conque, une coquille vide que Nicholas avait rempli d’intentionnalité. Ses récits font comme une arche – en architecture le terme anglais “conch” signifie également le toit en forme de dôme d’une abside semi-circulaire – et renvoie des échos au récit central qui le déstabilisent et qui montrent que leur existence ne tient qu’à la béance qu’ils entourent. Ces récits sont de multiples mises en abyme qui font que l’histoire se réfracte en fragments aux reflets multiples et ne constituent pas un reflet unique. Plutôt qu’un effet de miroir, cela produit un effet de kaléidoscope où ce que l’on voit se transforme selon la façon de le tourner. En fin de compte l’action de Conchis, qui inverse le « ich » de Nicholas, est de l’ordre de la lettre ou de la jouissance du dire qui permet à autre chose de venir s’inscrire, non pas par un effet de signification, mais par un effet de signifiance. 98

Notes
98.

Par cette distinction entre signification et signifiance nous rejoignons Barthes qui écrit que « lorsque le texte est lu (ou écrit) comme un jeu mobile de signifiants, sans référence possible à un ou à des signifiés fixes, il devient nécessaire de bien distinguer la signification, qui appartient au plan du produit, de l’énoncé, de la communication, et le travail signifiant , qui, lui, appartient au plan de la production, de l’énonciation, de la symbolisation : c’est ce travail qu’on appelle la signifiance. (…) la signifiance, et c’est ce qui la distingue immédiatement de la signification, est donc un travail, non pas le travail par lequel le sujet (intact et extérieur) essaierait de maîtriser la langue (par exemple le travail du style) mais ce travail radical (il ne laisse rien intact) à travers lequel le sujet explore comment la langue le travaille et le défait dès lors qu’il y entre (au lieu de la surveiller) : c’est, si l’on veut, « le sans-fin des opérations possibles dans un champ donné de la langue ». (Roland Barthes, « Théorie du texte » dans L’Encyclopédie Universalis, Paris, 1980, p. 1015.