5. Pour une esth-éthique de l’inachevé

La logique du texte vise la complétude et le lecteur s’attend à une explication finale qui dissiperait toutes les ambiguïtés du texte. Il exprime un désir de totalité à l’instar de Nicholas qui tente d’imposer l’intertexte de The Tempest pour inscrire une fin écrite d’avance. Mais John Fowles y oppose une esth-éthique de l’inachevé qui caractérise d’une manière ou d’une autre, toutes ses œuvres. Une généralisation qu’il fait dans un essai consacré à Thomas Hardy nous en fournit une définition :

‘The cathartic effect of tragedy bears a resemblance to the unresolved note on which some folk music ends, whereas there is something in the happy ending that resolves not only the story, but the need to embark on further stories. If the writer’s secret and deepest joy is to search for an irrecoverable experience, the ending that announces that the attempt has once again failed may well seem the more satisfying. 99

Dans tous ses romans une tension se manifeste entre le désir de maîtrise, de tout dire, et le « pas-tout » du langage.

Ceci est exprimé le plus clairement dans son premier roman publié, The Collector. Miranda, la jeune artiste en herbe, enlevée et séquestrée dans la cave d’une maison isolée, réfléchit à sa vie, à ce qu’elle voudrait faire, et revendique l’inachèvement comme ce qui fonde son art. Ayant réalisé plusieurs dessins du même bol de fruits elle demande à son ravisseur de choisir celui qu’il préfère et commente son choix :

‘Of course he picked all those that looked most like the wretched bowl of fruit. 100

Son ravisseur décrit, dans son récit, le dessin que préfère Miranda. Pour lui non seulement le dessin n’est pas ressemblant, mais il est bancal et inachevé :

‘The one that was so good only looked half-finished to me, you could hardly tell what the fruit were and it was all lop-sided. (p. 60)’

Mais pour Miranda ceci est essentiel à sa conception de l’art:

‘There I’m just on the threshold of saying something about the fruit. I don’t actually say it, but you get the impression that I might. (pp. 60-1)’

L’impossibilité sur laquelle son art vient buter parvient quand même à se mi-dire dans cette impossibilité à la formuler.

Notes
99.

John Fowles, “Hardy and the Hag”, dans Wormholes, (London, Jonathan Cape, 1998, p. 144).

100.

John Fowles, The Collector, (London, Pan Books, 1986, p. 132).