Quel roman ? Quelle lecture ?

Ce roman complexe oscille alors entre deux pôles correspondant aux deux types de textes définis par Roland Barthes dans S/Z et qui sont le texte « lisible » c’est-à-dire le texte qui ne peut qu’être lu, mais non écrit, et le texte « scriptible » qui peut être écrit (ré-écrit), où le lecteur n’est plus un consommateur mais un producteur. 131 Ces deux types de textes exigent des positions de lecture très différentes. Le premier pôle comprendrait à la fois la position du lecteur victorien et celle du lecteur du roman moderne, et le deuxième pôle serait une position écartelée entre les deux où, au point de friction entre les deux positions, pourrait se produire quelque chose de nouveau. La modernité de cette écriture se trouve dans la mise en rapport/non-rapport de ces deux pôles impossibles à concilier.

Comment sortir de cette problématique où les deux voies, roman victorien ou roman moderne, semblent barrées ? Fowles, en tentant d’écrire, pour ainsi dire, des deux côtés de la rupture épistémologique de notre modernité, fait comme s’il était possible aujourd’hui d’écrire un roman « victorien » tout en sachant à l’avance l’impossible d’une telle tentative. La contradiction est artificiellement surmontée par l’introduction d’un narrateur « moderne » qui se matérialise par moments dans le récit comme personnage, se plaçant ainsi des deux côtés de la barrière. Loin d’un jeu formel ou d’une simple recherche d’originalité, ce qui se trame est une tentative de suturer ce qui a été rompu par la modernité. De cette problématique point de sortie si ce n’est par un refus de conclure qui entraîne l’auteur à élaborer une esthétique de l’inachevé.

Cette impossibilité de tenir conjointement les deux positions nécessite un troisième terme pour permettre qu’un nouage puisse faire tenir l’ensemble dans un équilibre précaire où la soustraction de l’un des termes ferait s’écrouler le tout. Le travail du roman consiste à faire émerger ce troisième terme qui permettrait de mettre, provisoirement du moins, le mot « fin ».

Notes
131.

Roland Barthes, S/Z, (Paris, Le Seuil, 1970, p. 10).