Filiation et articulation au manque

Ce trou dans le savoir s’articule à un double dysfonctionnement dans le rapport père-enfant et produit une nouvelle possibilité de filiation dans l’absence du père-géniteur de l’enfant à naître à la fin du roman. Mr Bartholomew se définit avant tout comme un fils désobéissant, en conflit avec son père, refusant de se plier à la volonté paternelle. C’est le seul point qu’il authentifie dans les différentes explications qu’il fournit de la nécessité de mettre en place le subterfuge du voyage dans le Devon. C’est ce que souligne également Susana Onega qui met en évidence l’aspect métafictionnel de ces explications :

‘The four different versions offered by Mr Bartholomew himself about the journey’s aim have two things in common: one is the fact that they are all more or less recognizably literary; the other, that they all refer, as do the hypotheses about Mr Bartholomew’s real identity, to some form of disobedience or frustration. 173

A ce conflit enfant-parents s’ajoute l’histoire de Rebecca/Fanny qui, pour sa part, avait été chassée de la maison paternelle et souhaite y retourner pour recommencer sa vie. La veille de la disparition de Mr Bartholomew elle lui fait part de son envie de changer de vie : “I would not be what I am, sir.” (p. 53).

Il semble que ce soit la non-résolution du conflit entre Mr Bartholomew et son père, et le trou dans le texte qui résulte de la disparition de ce dernier, qui ouvrent une place à Rebecca/Fanny, lui permettant de se réconcilier avec ses propres parents et d’occuper la place textuelle qui paraissait jusqu’alors dévolue à Mr Bartholomew.

Ceci implique que l’autre point d’articulation du texte a trait à la féminité. Le rôle que joue Rebecca n’est d’ailleurs pas sans rappeler le rôle que joue Sarah dans The French Lieutenant’s Woman . D’un roman à l’autre de John Fowles nous pouvons constater une évolution du rôle féminin qui culmine dans A Maggot par l’éclipse du personnage masculin au profit du personnage féminin.

Dans le prologue John Fowles évoque ce qui fut à l’origine de A Maggot  :

‘For some years before its writing a small group of travellers, faceless, without apparent motive, went in my mind towards an event. Evidently in some past, since they rode horses, and in a deserted landscape; but beyond this primitive image, nothing. I do not know where it came from, or why it kept obstinately rising from my unconscious. The riders never progressed to any destination. They simply rode along a skyline, like a sequence of looped film in a movie projector; or like a single line of verse, the last remnant of a lost myth. (p. 5)’

Ainsi ce roman, tout comme The French Lieutenant’s Woman , a comme point de départ une image visuelle 174 qui attise le désir du sujet. Dans le cas de The French Lieutenant’s Woman John Fowles se disait obsédé par l’image d’une femme à l’extrémité d’un môle désert qui regarde vers la mer. Cette image a donné naissance à Sarah et défini sa position dans le premier chapitre du roman : Charles et Ernestina voient au bout de “the Cobb”, où les mène leur promenade, une silhouette noire qui leur tourne le dos. Elle leur fait écran puisque son regard se porte hors champ et sa position au bout du môle la place entre le sujet et l’objet de son regard, qu’elle voile. Elle fait énigme et arrête le regard de Charles et Ernestina. Habillée de noir qui est l’absence de couleur, contrairement à l’éclat des vêtements que porte Ernestina, elle permet à Charles d’y projeter la couleur de ses désirs. Il est significatif que lorsque ce dernier retrouve Sarah à la fin du roman elle est habillée différemment, et la couleur de ses habits fait obstacle alors à son désir qui ne trouve pas de point d’accroche :

‘And her dress ! It was so different that he thought for a moment that she was someone else. He had always seen her in his mind in the former clothes, a haunted face rising from a widowed darkness. But this was someone in the full uniform of the New Woman, flagrantly rejecting all formal contemporary notions of female fashion. Her skirt was of a rich dark blue and held at the waist by a crimson belt with a gilt star clasp; which also enclosed the pink-and-white striped silk blouse, long-sleeved, flowing, with a delicate small collar of white lace, to which a small cameo acted as tie. The hair was bound loosely back by a red ribbon. (p. 423) ’

Des similarités apparaissent entre les deux images sources : l’anonymat des personnages et le fait que l’action se déroule dans un lieu désert focalise l’attention du lecteur. Dans The French Lieutenant’s Woman le quai est désert et la femme sur le quai tourne le dos aux deux personnages ; dans A Maggot les cinq voyageurs sont “faceless” ; sans visage, et se trouvent dans un lieu sans âme qui vive, “a deserted landscape”. Dans les deux cas l’objet du regard de la femme en noir tout comme le but du voyage des cavaliers restent énigmatiques.

Notes
173.

Susana Onega, op. cit., p. 150.

174.

C’est ainsi que John Fowles évoque ce qui fut à l’origine de The French Lieutenant’s Woman  : « It started (…) as a visual image » (John Fowles, « Notes on an Unfinished Novel », (1969) dans The Novel Today, sous la direction de Malcolm Bradbury, (London, Fontana Press, 1990, p. 147).