2. Eléments narratologiques

L’apport des critiques

A Maggot est un roman paradoxal. D’un côté il constitue un retour aux sources du roman anglais par son contenu et par sa forme. L’histoire se déroule en 1736, à l’époque de Defoe et Fielding, les pères du roman anglais, et Fowles se sert des conventions en vogue à cette époque : le prologue et épilogue signés d’un éditeur qui habituellement authentifie ce que contient le roman, les lettres qui rappellent le roman épistolaire, et une reconstruction de dialogues qui utilisent un mode de discours correspondant à celui du dix-huitième siècle. Cependant, comme l’affirme Susana Onega, ces similarités ne servent qu’à brouiller les pistes et créer des attentes chez le lecteur qui ne peut trouver des réponses adéquates aux questions qu’il se pose :

‘(…) the historical chronicles in the novel are not meant, as we would have expected, to function as a reality-enhancing mechanism but, on the contrary, as a foil to set off the differences between “the real thing” and Fowles’s fictional creation. Similarly the device of writing a Prologue and an Epilogue somehow fails to meet the traditional reader’s expectation (…). 178

Poursuivant son analyse sur ce point Susana Onega prend à partie un critique en particulier qui rejette le roman parce qu’il ne répond pas à ces critères 179 , et elle affirme avec raison :

A Maggot cannot meet the requirements of Julian Moynihan for the same reason that The French Lieutenant’s Woman failed to meet those of other reality-based critics; that is, because neither is A Maggot an eighteenth-century historical novel, nor is The French Lieutenant’s Woman a Victorian romance, and this, simply, because they have been written in the twentieth century. 180

Lire A Maggot comme le fait Julian Moyniha oblige le lecteur à ignorer ce qu’affirme John Fowles dans le prologue sur la nature du roman, “I would not have this seen as a historical novel. It is a maggot.” (p. 6). Le titre du roman déploie une problématique beaucoup plus vaste pouvant à la fois se référer à l’objet mystérieux vu par Rebecca dans la grotte qu’elle compare à une larve ou un ver 181 ou, jouant sur la polysémie du mot, au roman tout entier en tant que « fantaisie ». En faisant allusion à ce sens de “whim or quirk” (p. 5), Fowles suggère que son intention n’était pas de récupérer un objet connu du passé mais de produire quelque chose d’inattendu qui relève de la trivialité, c’est-à-dire qui est le fruit d’une rencontre. Etymologiquement « trivial » signifie le carrefour où trois chemins se croisent, posant au sujet un problème de choix et impliquant la nécessité de s’engager sans savoir où cela mène.

James Acherson, pour sa part, aborde le roman autrement, reconnaît qu’il ne s’agit nullement d’un roman historique et souligne des anomalies historiques ou géographiques dans le texte pour soutenir son argumentation : la véritable Ann Lee, dont la naissance conclut le récit, est née deux mois avant la prétendue rencontre entre Rebecca Lee et Dick Thurlow que le roman présente comme ses parents ; aucune ville réelle ne correspond à la dernière étape du voyage, la ville de C. Ainsi Acherson ne le fait entrer dans aucune catégorie, mais dégage simplement quelques traits qui le singularisent, “it is a novel characterised by vagueness, uncertainty and mystery.” 182

Mahmoud Salami relève l’un des aspects importants du roman, soulignant que Fowles établit un parallèle entre le discours de fiction et le discours historique :

‘Thus, by creating a whimsical world, a fantasy about the Shakers that is entirely different from their real history, and by reconstructing this history, Fowles succeeds in exploring the similarities and differences between the techniques of fiction and the ways in which history is authenticated. 183

Il place, cependant, le roman dans la catégorie de “historiographic metafiction” telle que la définit Linda Hutcheon. 184 Ces caractéristiques se trouvent effectivement dans A Maggot mais elles ne permettent pas d’en saisir toute la complexité.

Ce qui est en jeu ici n’est pas de trouver une catégorie dans laquelle insérer le roman mais de cerner la problématique particulière qui en constitue la matière. A Maggot élude toute classification qui enfermerait sa problématique dans un carcan ou historique ou purement formel qui en limiterait la portée.

Notes
178.

Susana Onega, op. cit., p. 139.

179.

Il s’agit de Julian Moynihan qui, puisque l’auteur ne respecte pas les conventions du roman du dix-huitième siècle, conclut que le roman est un échec : “John Fowles has failed to write a serious book.” (Julian Moynihan, “Fly Casting,” New Republic 193, 7 October 1985 pp. 47-49).

180.

Susana Onega, op. cit., p. 140.

181.

Le traducteur français réduit la portée du titre en le rendant par « La Créature » puis traduit le signifiant « maggot » qui désigne l’objet mystérieux dans la grotte par « ver », réduisant la signification à l’articulation de la vie et de la mort. Ce qui est encore plus surprenant est la disparition du prologue que la traductrice n’a pas jugé utile de porter à la connaissance du lecteur français. (John Fowles, La Créature traduit de l’anglais par Annie Saumont, (Paris, Albin Michel, 1987).

182.

James Acherson, op. cit., p.  80.

183.

Mahmoud Salami, op. cit., p. 215.

184.

“(…) my focus here is on those points of significant overlap of theory with aesthetic practice which might guide us to articulate what I want to call a “poetics” of postmodernism (…). The points of overlap that seem most evident to me are those of the paradoxes set up when modernist aesthetic autonomy and self-reflexivity come up against a counterforce in the form of a grounding in the historical, social and political world” Linda Hutcheon, A Poetics of Postmodernism, (London, Routledge, 1988, p. ix). Parmi les oeuvres qui rentrent dans cette catégorie elle cite A Maggot.