Quelle problématique ?

Une indication importante est peut-être fournie par le titre du roman dont les différents critiques se bornent à commenter la double définition donnée par Fowles dans les premières lignes du prologue :

‘A MAGGOT is the larval stage of a winged creature, as is the written text, at least in the writer’s hope. But an older though now obsolete sense of the word is that of a whim or a quirk. (p. 5)’

Cependant, si nous en restons là nous réduisons la problématique à un rapport binaire produit par la seule signification ; ce qui n’est guère plus satisfaisant qu’une analyse basée sur la « métafiction historiographique » qui joue sur une opposition binaire entre « histoire » et « fiction ». Il nous semble qu’un autre type de rapport permet de voir, en dehors de la signification, un lien entre A Maggot et le titre du premier roman écrit par John Fowles. Susana Onega, il est vrai, relève cette similarité mais se contente de souligner simplement la circularité dans l’œuvre de Fowles :

‘Even the curious phonetic similarity existing between “magus” (pronounced [mægas] by Fowles) and “maggot” points to the circularity of Fowles’s writing, to the fact that A Maggot is indeed another variation on The Magus, still another version of the hero’s quest. However, the slight phonetic difference between the titles of Fowles’s first and last novels also contains a world of difference, the huge stretch that goes from his hesitant and unsatisfying first attempt to express his vision of the world, to the last, masterfully neat and accomplished expression of it. 185

Toutefois, en faisant jouer la phonologie on souligne que tout ne dépend pas de la signification, du rapport signifiant-signifié, mais que la lettre, dont dépend le signifiant, peut faire coupure dans le sens. L’auteur suggère ce type de rapport dans le prologue lorsqu’il déplie les différentes strates de signification du titre :

‘By extension it was sometimes used in the late seventeenth and early eighteenth century of dance-tunes and airs that otherwise had no special title … Mr Beveridge’s Maggot, My Lord Byron’s Maggot, The Carpenter’s Maggot, and so on. (p. 5)’

Cette allusion musicale introduit un rapport qui se fonde non sur le sens mais sur le jeu de la sonorité, et nous incite à faire une lecture qui se met à l’écoute du bruissement des signifiants et qui se superpose à la linéarité du récit. Ainsi nous pouvons prendre conscience de la dimension poétique du roman selon la définition de Roman Jakobson :

‘La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison. 186

Il convient également, au-delà de la similarité phonologique, de s’interroger sur le déplacement opéré par la modification de l’article dans les deux titres : de l’article défini “the” dans le premier nous passons à l’article indéfini “a” dans le second. Un simple rapport binaire entre les deux romans, qu’aurait pu impliquer l’emploi de l’article défini dans les deux cas, semble exclu. L’indéfini “a” inaugure une chaîne dont on ne sait où elle finit, mettant en évidence l’impossibilité de tout dire et s’accordant davantage à l’esthétique de l’inachevé dont nous avons constatée qu’elle était la marque du style de l’auteur.

Toute entreprise de signification est problématique dans le roman, que ce soit dans le discours de la fiction ou dans l’historiographie, et Fowles entremêle les deux plans. Le nom du clerc qui établit les procès-verbaux des dépositions des témoins en donne une illustration comique. Il porte un nom royal, John Tudor, mais l’homme est simple clerc. L’exactitude des propos des témoins est de son ressort, or, il révèle à Rebecca qu’il existe la même dichotomie entre ce qu’il entend et ce qu’il écrit qu’entre son nom royal qui, ironiquement, lui confère la prérogative royale de vie ou de mort, et sa fonction servile :

‘‘What is thy name?’
‘Royal, mistress. John Tudor.’
‘And where did thee learn to write so swift?’
‘The short hand? By practice. ’Tis child’s play, once learnt. And where I cannot read when I copy in the long hand, why, I make it up. So I may hang a man, or pardon him, and none the wiser.’ (p. 347)’

Ainsi l’histoire, qui correspond à ce que nous nommons habituellement « réalité », est mise sur le même plan que la fiction. Toutes deux sont mises en question en tant que constructions discursives et deviennent des semblants qui s’opposent au noyau obscur au centre du roman qui figure le Réel dans sa définition lacanienne d’« impossible à dire ». La difficulté de lecture de ce roman est de les articuler au Réel, car à rester au niveau des semblants nous risquons de tomber dans le travers de Julian Moynihan décrit par Susana Onega.

Notes
185.

Susana Onega, op. cit., p. 10-11.

186.

Roman Jakobson, “Poétique” in Essais de linguistique générale, (Paris, Points Seuil, 1970, p. 220).