Discontinuité et temporalité

La discontinuité du récit, la fragmentation du texte, contrastent avec les différentes tentatives de mise en ordre. L’élément majeur de cette discontinuité est la temporalité qui subit un dysfonctionnement et se fractionne en une multiplicité de temporalités.

Tout d’abord la première mise en ordre au niveau de la diégèse est de fixer un point de départ, un milieu et une fin correspondant au temps linéaire. Le récit initial peut représenter un début mais ce récit n’aboutit pas à la conclusion attendue qui est annoncée à Lacy par Mr Bartholomew dans l’auberge où ils passent la nuit :

‘I go to meet one I desire to know, and respect, as much as I would a bride – or my Muse indeed, were I a poet; before whom I am as Dick before myself, nay, more lacking still. And whom I have been hitherto prevented from seeing as much as by a jealous guardian. I may have deceived you in the letter. But not in the spirit. (p. 42)’

Le récit du voyage s’interrompt au moment où les différents voyageurs s’apprêtent à se coucher et ne reprend pas. Les dernières phrases du récit suggèrent une inversion dans le temps et un processus de régression semble se mettre en route :

‘He [Mr Bartholomew] walks towards the bed, unbuttoning his long waistcoat. As he comes to it he sinks to his knees on the broadplanks and buries his bald head against its side, as a man seeking undeserved forgiveness or the oblivion of infancy might, against a mother’s skirt. (p. 58)’

Le début du récit est tout aussi trompeur puisque les raisons invoquées pour ce voyage s’avèrent erronées et la véritable cause n’est jamais explicitement révélée. Mr Bartholomew se moque du désir de Lacy de la connaître, laissant entendre que la recherche de la cause, comme la recherche du sens final, sont aussi futiles l’une que l’autre :

‘‘Perhaps I am one of those seditious northern Jacks ? Another Bolingbroke? These papers here are all in cipher. If not in plain French or Spanish. I go to plot with some emissary of James Stuart. (…) I am here to creep into the woods and meet some disciple of the Witch of Endor. To exchange my eternal soul against the secrets of the other world. How does that cap fit?’ (p. 42)’

Une nouvelle temporalité voit le jour dans le roman, marquée par la fréquence des dépositions des témoins et participants. Le déroulement de l’enquête menée par Ayscough a effectivement un début, un milieu et une fin, et elle s’accompagne des extraits de The Gentleman’s Magazine qui fonctionne comme un calendrier en arrière-plan de l’enquête. Cependant, comme l’avait remarqué Katherine Tarbox, le caractère aléatoire du choix des extraits rend illusoire et trompeuse toute tentative d’imposer un ordre basé sur la chronologie.

La temporalité de l’enquête est pourtant double : les extraits mensuels du périodique s’enchaînent dans un déroulement chronologique, mais dans sa logique l’enquête va à rebrousse-temps. La tâche d’Ayscough est de partir de la fin, de la disparition de Bartholomew et de la mort de Dick et de remonter vers le début pour que la fin puisse prendre un sens. Son échec ainsi que l’inadéquation de son rapport final au père du disparu se manifestent dans son impuissance à conclure le roman. Sa dernière lettre est suivie d’un épisode supplémentaire qui raconte la naissance de la fille de Rebecca.

Le récit déborde de ses limites, car la naissance d’Ann Lee venant après la clôture d’Ayscough constitue un reste qui ne s’intègre pas, s’apparentant davantage à un début qu’à une fin.

L’enquête d’Ayscough est bordée par la mort : lancée par la mort de Dick elle se termine par la mort supposée de Bartholomew. A l’inverse, le récit de Rebecca articule la mort de Dick à la vie. Sa fille qui doit naître est la part de vie laissée par Dick et donne ainsi un autre éclairage à la touffe de violettes, qui a pris racine et fleurit dans la bouche du cadavre.

A Maggot prend la contre-partie de The Collector. Le premier roman publié par Fowles se termine par la mort de Miranda qui s’articule à une autre mort probable, celle de la fille que Clegg convoite pour la remplacer. L’échec de Miranda fait que ce roman-là tourne en rond dans une boucle fermée sans issue possible. La conclusion d’Ayscough tente de fermer la boucle dans A Maggot mais cette fin est mise en question par l’épisode ultime qui raconte la naissance d’Ann Lee qui déjoue la clôture et ouvre le texte au lieu de le fermer.