5. Vers une esthétique de l’inachevé

La défaite du sens

Face à Rebecca et ce qu’elle représente Ayscough est impuissant. Sa conclusion ne peut qu’être inadéquate, reflétant la défaillance de la signification « phallique » qu’il incarne. Contrairement à Rebecca qui articule la vie et la mort il ne fonde sa conclusion que sur la mort qui seule permet de mettre un point final qui arrête le mouvement du texte et rétablit la stase. Ce faisant, il met paradoxalement le point final au milieu du roman et fait abstraction de ce qui s’ensuit. Les hypothèses qu’il élabore pour expliquer la disparition de Mr Bartholomew fonctionnent comme un bouchon, mais, en fin de compte, ne ferment rien.

Il conseille alors au père, en l’absence de certitude, de tirer un trait sur ce qui met en cause sa position, de nier la réalité :

‘I fear Your Grace was not mistaken: he may justly conclude that in all matters but of blood, his Lordship was indeed as a changeling, and not his true son. (p. 449)’

Le père peut alors s’en remettre à l’Autre de la garantie :

‘Man would of his nature know all; but it is God who decrees what shall or shall not be known; and here we must resign ourselves to accept His great wisdom and mercy in such matters, which is that He deems it often best and kindest to us mortals that we shall not know all. (p. 450)’

Le fils serait mort, d’après Ayscough, d’avoir voulu contrecarrer le dessein de cet Autre, “He did seek wickedly to pierce some dark secret of existence” (p. 445). Ayscough se place alors dans une position contradictoire où, après avoir rejeté et ridiculisé le récit que Jones lui fit des événements, sa propre conclusion reprend cette version des faits à son compte. Ainsi il essaie, sans y parvenir, de gommer les discordances entre les différents témoignages mais produit finalement un récit qui ne peut s’appuyer sur une base solide, tout aussi boiteux que le père de Mr Bartholomew qui s’en va en claudiquant de l’entrevue avec Rebecca. Tout ce que peut faire Ayscough à la fin est de recommander au père de faire comme si ce fils n’avait jamais existé et chercher réconfort :

‘(…) in the more earthly solace of his noble wife and noble son the Marquis (who doth, unlike his poor brother, so preeminently enshrine his father’s virtues), of those most charming ladies his daughters likewise. Alas, the one flower may wilt and fade; the others still may console the more. (p. 450)’

L’inadéquation de cette conclusion est soulignée par le fait qu’elle ne met pas un terme au roman. Il s’ensuit un nouveau chapitre qui raconte la naissance d’Ann Lee. Ce que gomme Ayscough est, en quelque sorte, le déplacement qui s’opère dans le roman et qui se cristallise sur la transformation de Rebecca à qui revient le mot de la fin. Elle s’adresse à son enfant, non pas dans une langue régie par la signification, par un rapport signifiant/signifié, mais dans une langue privée de sens :

Vive vi, vive vum, vive vi, vive vum, vive vi vive vum … it is clear they are not rational words, and can mean nothing. (p. 454)’

Il s’agit de « lalangue », par où le langage s’approche au plus près du réel sans s’y perdre, une forme de langage « pas-tout » qui exclut la possibilité de sens mais qui évoque une jouissance perdue dont les lettres dessinent la trace là où s’effondrent la semblance de la fiction.