L’inachevé

A Maggot est, de toute évidence, le roman le plus énigmatique de la production de John Fowles. Les multiples répétitions et variations dans les différents comptes-rendus des événements fictifs stratifient le texte qui joue ainsi sur plusieurs niveaux. Il ressemble en cela à une partition de musique pour orchestre ; mais comment se combinent les différentes strates et produisent-elles une harmonie ou une cacophonie ?

Comme dans la musique contemporaine où les « strates » ne forment pas un ensemble lisse et conforme aux anciennes règles d’harmonie, la friction dans le roman défait la fiction. Il en ressort une interrogation sur la façon d’articuler ce que Lacan nomme le Réel, le symbolique et l’Imaginaire et que Jean-Claude Milner définit ainsi :

‘Il y a trois suppositions. La première, ou plutôt l’une, car c’est déjà trop que d’y mettre un ordre, si arbitraire qu’il soit, est qu’il y a : proposition thétique qui n’a de contenu que sa position même – un geste de coupure, sans quoi il n’y a rien qu’il y ait. On nommera cela réel ou R. Une autre supposition, dite symbolique ou S, est qu’il y a de lalangue, supposition sans laquelle rien, et singulièrement aucune supposition, ne saurait se dire. Une autre supposition enfin est qu’il y a du semblable, où s’institue tout ce qui fait lien : c’est l’imaginaire ou I. 224

Le monde moderne produit différentes ruptures qui ont modifié fondamentalement notre façon de percevoir ce qui nous entoure, défaisant tout ce qui apportait une garantie de sens téléologique, et a mis l’homme face à la labilité. Tiraillé entre « le père et le pire », pour reprendre la formule d’Annie Ramel, l’homme doit chercher une autre possibilité de nouage qui passe par un déplacement structurel tel que le roman l’illustre.

Notes
224.

Jean-Claude Milner, Les Noms indistincts, (Paris, Editions du Seuil, 1983, p. 7).