Introduction à la linguistique – Historique

L’Antiquité est la première époque où l’on trouve des théories du langage. Les Grecs n’avaient qu’un terme – logos – pour désigner le langage et la raison. Ainsi, dans l’Antiquité, une grande partie de la théorie du langage se trouve exprimée dans la discipline de la logique, afin de décrire rationnellement l’organisation de la pensée et la façon dont celle-ci se trouve exprimée par le langage. Les Latins, en traduisant logos par deux termes, ratio, qui est devenu "raison", et oratio – "oraison", ancien mot utilisé pour désigner à la fois la langue et le langage – ont commencé à dissocier les deux perspectives. Le lien étroit entre philosophie et grammaire qui caractérisait l’Antiquité continue à être observé pendant tout le Moyen âge, tant dans le monde chrétien que dans le monde arabe. Dans l’Islam, l’étude du langage est étroitement liée à la lecture du Coran et à l’effort qui doit être fait pour le comprendre. C’est pourquoi les penseurs arabes ont privilégié la dimension pragmatique 1 des énoncés, plutôt que leur sens immédiat. Les penseurs chrétiens du Moyen Age considèrent que le monde ne nous est pas accessible directement, mais que nous pouvons avoir des aperçus de son essence en étudiant le langage, qui en est le miroir (speculum en latin, d’où le nom de discipline de la "grammaire spéculative"). A la Renaissance va naître un intérêt grandissant pour les langues modernes, principalement le français, l’italien, l’espagnol, l’allemand et l’anglais, qui seront considérées comme des langues à part entière, et non plus comme des langues barbares 2 qui remplacent le latin en Europe. L’Age Classique (XVIIe – XVIIIe siècles) se caractérise par une conception du langage très différente de celle du Moyen Age. C’est l’époque de l’étude détaillée des langues européennes, mais aussi celle d’un questionnement philosophique nouveau sur l’"essence" du langage. Après la prédominance des grands mythes théologiques (Adam, Babel…), le langage se verra attribuer une explication purement humaine, en conjecturant qu’il est le fruit d’un besoin social ou de commerce, ou encore d’un désir d’exprimer ses émotions. Un peu partout en Europe apparaissent des méthodes d’apprentissage des langues, dans lesquels on retrouve les premiers concepts grammaticaux modernes. C’est aussi l’époque de la création, en Italie puis en France, d’académies destinées à améliorer la qualité des langues. A la fin du XVIIe siècle, plusieurs penseurs forment le projet de décrire les langues, non plus dans ce qui les différencie, mais dans ce qui les rapproche. C’est l’époque de la grammaire générale. Au début du XIXe siècle, le langage est abordé de manière radicalement différente avec un nouveau courant allemand. Herder propose que le langage n’ait pas comme origine le besoin de communiquer ou d’exprimer ses pensés, mais une prise de conscience de l’homme par lui-même. C’est en prenant conscience de lui-même que l’homme accède à la fois à la pensée et au langage. Par ailleurs, pour le philosophe Humboldt, le langage n’est pas un tout achevé, figé, il est une énergie en activité constante. Si la linguistique date du début du XIXe siècle, c’est à la fin de ce siècle, après les grandes réalisations de la grammaire comparée 3 , que la linguistique va chercher à se constituer en discipline scientifique, grâce à un effort de théorisation et de conceptualisation des termes qu’elle utilise. Au début du XXe siècle, Ferdinand de Saussure représente l’aube de la linguistique contemporaine européenne, en mettant en évidence les trois dichotomies du langage. Il met en avant les distinctions langue/parole (décrite précédemment), signifiant/signifié 4 et synchronie/diachronie 5 . Saussure donnera naissance au mouvement structuraliste. Selon ce mouvement de pensée, les relations qui existent entre les éléments du système que constitue la langue sont des relations d’interdépendance : la valeur de chaque élément dépend de la valeur de tous les autres. De plus, il s’agit de relations entre signifiant et signifié, et non de relations entre signe linguistique et objet du monde représenté, extérieur à la langue. De nombreux mouvements, dérivant ou non du structuralisme, ont vu le jour au cours du XXe siècle, jusqu’à la grammaire générative de Noam Chomsky (Chomsky, 1957; Chomsky, 1965). S’aidant de l’héritage de philosophes des siècles passés, comme Wilhelm von Humboldt, et des recherches menées dans d’autres disciplines que la linguistique, Noam Chomsky a fondé dans les années 60 la ‘grammaire générative’, théorie relevant autant de la philosophie du langage que de la linguistique. L’ouvrage référent de Chomsky, Structures syntaxiques, date de 1957 (Chomsky, 1957). Il y définit la grammaire comme l’ensemble fini de règles qui permettent de produire la totalité des énoncés grammaticaux possibles d’une langue donnée. Il distingue alors la connaissance des règles – la compétence – et la mise en pratique des règles – la performance. La grammaire qui regroupe l’ensemble des règles et instructions explicites qui permettent d’énumérer toutes les phrases grammaticales possibles d’une langue est dite générative. Après une deuxième version de la grammaire générative exposée dans Aspects de la théorie syntaxique (Chomsky, 1965), Chomsky propose en 1981 un nouveau changement théorique : selon lui, ce sont des principes universels qui organisent la grammaire, principes innés, communs à toutes les langues. La théorie grammaticale se charge de définir les paramètres qui caractérisent la manière dont les langues particulières mettent en œuvre ces principes. On parle alors des ‘universaux du langage’.

La linguistique générale, théorisant les acquis de chacun des domaines dont elle se compose, estime que tout langage verbal humain fait s’articuler une phonologie, un lexique, une sémantique, une morphologie et une syntaxe. Ainsi, dans chaque langue, la compétence minimale requise est de : disposer d’un inventaire de sons, en connaître le système ; disposer d’un lexique ; savoir que certaines séquences de sons ont une signification, ou renvoient à un concept donné ; savoir que certaines phrases sont possibles et d’autres impossibles.

Nous allons maintenant préciser la nature des différents termes introduits précédemment (et qui seront utilisés tout au long du manuscrit), ainsi que les sous-domaines de la linguistique auxquels ils se réfèrent, en s’attardant plus longuement sur les domaines relevant de notre sujet de travail.

Notes
1.

La pragmatique est l’élaboration de modèles permettant, à partir des informations contenues dans l’énoncé et d’autres fournies par le contexte, d’émettre des hypothèses sur l’intention du locuteur.

2.

Critère linguistique permettant de distinguer les individus et les langues n’appartenant pas à la civilisation grecque ; la définition a ensuite été étendue au monde romain.

3.

La grammaire comparée est un courant de la linguistique, datant du XIXe siècle, postulant que les langues du monde s’organisent en grandes familles qui sont chacune cohérente et qui chacune développe des systèmes grammaticaux. En 1833, Bopp propose sa Grammaire comparée des langues indo-européennes, postulant qu’il a existé à un moment donné une langue mère – l’"indo-européen" – dont sont issus le grec, le sanscrit (langue sacrée de l’Inde), le latin et les langues germaniques.

4.

La langue est constituée de signes linguistiques, qui se décomposent en signifié (concept) et signifiant (image acoustique).

5.

La perspective diachronique est l’étude de la langue dans son évolution, la perspective synchronique est l’étude de l’état du système de la langue à un moment donné de son histoire. Saussure affirme la primauté de la perspective synchronique, ce qui met fin à la prédominance des études historiques.