B.8.b. La lecture

La lecture est l’activité cognitive de décodage des symboles écrits de l’écriture. Dans le système d’écriture alphabétique, auquel appartiennent les langues indo-européennes, la lecture implique plus précisément l’intégration de plusieurs symboles visuels – les lettres – organisés en séquences – les mots. Il s’agit d’un acte de langage tant dans sa dimension sociale (communication) que dans sa dimension interne (pensée et intelligence verbale). La lecture implique des mécanismes cérébraux très complexes, en faisant intervenir des processus sensoriels, perceptifs, attentionnels, mnésiques, cognitifs et linguistiques élaborés – certains étant conscients, volontaires ou involontaires, d’autres automatiques ou inconscients. Par ailleurs, la lecture fait l’objet d’un développement s’inscrivant dans le développement psycholinguistique et cognitif, en passant par une phase nécessaire d’apprentissage.

De même que l’écriture est une invention humaine récente, la lecture – qui apparaît en même temps que l’écriture dans l’évolution – est une faculté cognitive inventée par l’homme, suffisamment récemment pour ne pas avoir subi les contraintes évolutives. Le caractère très récent de son invention dans l’histoire de l’humanité contraste avec le fait que cette faculté cognitive acquise est d’une efficacité et d’une rapidité d’exécution remarquables chez les sujets ‘normo-lecteurs’ : en dépit de la complexité de cette tâche, un lecteur est capable de reconnaître un mot de plus de 20 lettres en un seul regard de 100 ms (voir (Nazir and Montant, 1996)). L’automatisation à laquelle aboutit l’apprentissage de la lecture a d’ailleurs permis d’observer un effet très robuste en psychologie – l’effet Stroop – démontrant que l’accès automatisé au nom écrit d’une couleur peut interférer avec l’accès, moins immédiat, au nom de la couleur de l’encre ayant servi à écrire ce même mot.

La lecture est donc une faculté cognitive très particulière, dont nous avons choisi d’étudier différents aspects, les résultats obtenus étant présentés dans cette thèse.

Après avoir décrit succinctement les grandes lignes de la linguistique, nous allons maintenant décrire plus particulièrement trois disciplines découlant des sciences du langage, et qui s’intéressent au langage en tant que faculté cognitive, avec ses contraintes psychologiques et biologiques. La description de ces trois disciplines se fera séparément, mais nous verrons qu’elles sont hautement complémentaires, l’intérêt des travaux en sciences cognitives étant de coupler les connaissances de ces différentes disciplines. Nous présenterons tout d’abord les principaux travaux de psycholinguistique, étude des processus psychologiques déterminants dans l’élaboration du langage. Nous décrirons ensuite la neuropsycholinguistique – étude des aspects pathologiques du langage – permettant de traiter au mieux les troubles des patients, mais aussi de mieux comprendre la mise en place du langage chez les sujets ‘sains’. Enfin, nous nous attarderons plus longuement sur les résultats primordiaux de la neurolinguistique, qui étudie les fondements biologiques de notre aptitude au langage, discipline en plein essor grâce à l’apparition à la fin du XXe siècle de nouveaux outils d’expertise. Dans chaque chapitre, nous nous attarderons plus longuement sur les aspects de la reconnaissance visuelle de mots isolés (l’aspect de phrase ou de discours n’étant pas abordé dans ce travail de recherche), ainsi que sur la pathologie de la lecture qu’est la dyslexie de développement.