Phénomènes généraux sur le lexique mental

Dès les premiers travaux sur l’accès lexical, deux phénomènes très généraux ont été mis en évidence : plus un mot est fréquent plus son accès est rapide – c’est l’effet de fréquence –, et cet accès est plus rapide si le mot est précédé par un autre mot lui étant sémantiquement associé – c’est l’effet d’amorçage. L’effet de fréquence est observé dans la tâche typique de décision lexicale : lorsqu’il perçoit une succession de stimuli étant des mots ou des non-mots 14 , un sujet sera plus rapide, par exemple, pour identifier ‘table’ comme étant un mot plutôt que ‘tarse’, sa fréquence lexicale 15 étant de 4.4 contre 0.6 pour ‘tarse’. Dès 1951, Howes et Solomon avaient observé que le seuil d’identification d’un mot était d’autant plus bas que sa fréquence était plus grande (Howes and Solomon, 1951), et le même effet a été retrouvé par la suite dans des tâches très variées. D’autre part, l’effet d’amorçage est mis en évidence dans les tâches d’amorçage sémantique (semantic priming) : Meyer & Schvaneveldt (Meyer and Schvaneveldt, 1971) observent, par exemple, que dans une tâche de décision lexicale le mot ‘doctor’ (‘docteur’) est identifié plus vite s’il a été précédé du mot ‘nurse’ (‘infirmière’) que du mot ‘bread’ (‘pain’) ; en revanche, ‘bread’ facilite l’identification de ‘butter’ (‘beurre’).

Deux autres phénomènes mis en évidence plus récemment sont venus s’ajouter aux précédents. Tout d’abord, l’effet de voisinage orthographique 16 interfère avec l’effet de fréquence. Dans une épreuve de décision lexicale, Grainger et al. (Grainger et al., 1989) ont montré que le temps de reconnaissance d’un mot écrit est plus long quand il possède un voisin orthographique dont la fréquence est plus grande. Par exemple, bien que les deux mots ‘nerf’ et ‘abus’ aient des fréquences équivalentes, le premier est identifié moins vite que le second, car il a un voisin plus fréquent (‘neuf’), ce qui n’est pas le cas du second. Cet effet s’observe également sur les non-mots qui, dans une tâche de décision lexicale, sont moins rapidement rejetés s’ils sont voisins orthographiques d’un mot réel (Forster, 1989). Il existe enfin un phénomène appelé effet d’amorçage par la forme (form priming) : l’identification d’un mot écrit est facilitée s’il est précédé par un stimulus d’orthographe voisine (Forster et al., 1987).

Ces différents résultats de psychologie expérimentale ont servi de base aux réflexions sur la nature du lexique interne ainsi qu’à l’élaboration de modèles d’accès au lexique.

Notes
14.

Les non-mots sont des successions de lettres imprononçables et n’ayant aucune signification dans la langue considérée (exemple : HUJSQ).

15.

La fréquence lexicale vise à fournir une information sur la fréquence d’usage associée à une entrée lexicale. Le seul inventaire dont on dispose pour la langue française orale est celui de Gougenheim et al. Gougenheim G, Rivenc R, Michea R, Sauvageot A. L'élaboration du français fondamental. Paris: Didier, 1964., qui porte sur un corpus de conversations spontanées de 312 135 mots, et fournit la fréquence des 1063 mots les plus usités. Dans notre étude, basée sur des stimuli visuels et non oraux, les fréquences lexicales (rapportées en valeurs logarithmiques) proviennent de la base de données lexicales informatisée Brulex Content AM, P. Radeau, M. BRULEX : une base de données lexicales informatisée pour le français écrit et parlé. L'Année Psychologique 1990; 90: 551.. Les fréquences sont reprises des tables publiées par le Centre de Recherche pour un Trésor de la Langue Française Imbs P. Etudes statistiques sur le vocabulaire français. Dictionnaire des fréquences. Paris: Didier, 1971.. Elles représentent le nombre d’occurrences d’une chaîne de caractères rapporté à un total de 100 millions, pour un échantillonnage de textes de la seconde moitié du XXe siècle.

16.

Les voisins orthographiques d’un mot sont tous les mots qui ne diffèrent de celui-ci que par une seule lettre (par exemple, ‘loin’, ‘coin’, ‘sain’ et ‘soif’ sont des voisins orthographiques de ‘soin’).