C.4. Conclusion

En conclusion, quatre questions majeures restent en suspens quant au traitement du langage, malgré de nombreuses études et de nombreux modèles proposés : (a) les niveaux d’analyse distinctifs correspondent-ils, psychologiquement, à des composantes de traitement distincts ? Existe-t-il une hiérarchie de ‘processeurs’, ou doit-on plutôt considérer le traitement du langage de manière distribuée ? (b) Outre ce problème de la nature des unités de traitement, la question reste ouverte aussi quant au fonctionnement de ces unités : les composantes langagières fonctionnent-elles en série, c'est-à-dire que chaque unité ne reçoit des informations que du niveau inférieur et n’en transmet qu’au niveau supérieur, selon un schéma d’activation de type ‘bottom-up’ ? Ou bien les différentes composantes fonctionnent-elles en parallèle, toutes les phases de traitement débutant en même temps, et communiquant toutes entre elles ? Dans ce cas, une partie au moins des traitements se ferait sur un mode ‘top-down’, c'est-à-dire qu’une analyse de haut niveau pourrait influencer les traitements plus précoces. (c) Une autre question porte sur le caractère automatique ou contrôlé des processus concernés. Rappelons qu’un processus automatique se déroule de façon irrépressible jusqu’à son terme. Il est très rapide, inconscient et ne nécessite pas de ressources cognitives. A l’inverse, un processus contrôlé est par nature plus lent, il dépend d’un certain nombre de facultés (de la capacité de la mémoire de travail entre autres), et il peut à tout moment être interrompu ou modifié. (d) Enfin, les procédures psycholinguistiques ne sont-elles qu’un cas particulier de procédures cognitives générales, ou s’agit-il de mécanismes spécifiques, relevant de dispositifs spécialisés, propres au langage ?

L’idée d’un traitement parallèle de l’information plutôt que sériel est aujourd’hui largement admise, même si les opinions divergent encore quant à l’ampleur de ce parallélisme. L’hypothèse d’une modularité stricte a été plus ou moins abandonnée, une nouvelle approche proposant maintenant qu’une représentation donnée n’est pas située quelque part dans le réseau, mais correspond à un certain pattern d’activation de celui-ci (cf. (Gaskell and Marslen-Wilson, 1999; Pulvermüller, 1998)). C’est plutôt la notion même du lexique mental qui se trouve remise en question, les questions de modularité ou connexionnisme n’ayant plus vraiment lieu d’être. En ce qui concerne la succession et l’automaticité des phénomènes, l’idée générale actuelle est que l’accès lexical s’effectuerait de façon essentiellement automatique, commandé directement par l’input sensoriel. Les effets de contexte relèveraient d’un traitement contrôlé, plus lent, intervenant après l’accès lexical. Mais il est de plus en plus vraisemblable que l’automatisme du traitement lexical soit soumis à des influences contextuelles de type "Top-down".

Dans ce cadre particulier de la recherche en psycholinguistique, nous allons nous intéresser dans les chapitres retraçant nos résultats à ces deux aspects primordiaux du traitement du langage : nous avons en effet observé d’une part certains effets "Top-down" lexicaux et attentionnels influençant la lecture et d’autre part des caractéristiques fonctionnelles et neuro-physiologiques en rapport avec la part automatique et irrépressible de la lecture.

Bien que les modèles connexionnistes aient l’intérêt de proposer des traitements distribués plutôt que modulaires, leur grande faiblesse est de ne pas tenir compte des contraintes neurophysiologiques. C'est dans ce contexte que la neuropsychologie et la neuroimagerie fonctionnelle ont le potentiel de redéfinir les modèles de traitement du langage normal ou anormal, en ajoutant les contraintes neurologiques appropriées. En particulier, ces approches permettent de préciser s'il y a un système neuronal spécifique à une procédure particulière, ou si l'implémentation de cette procédure est gouvernée par des patterns d'activité distribués dans les systèmes neuronaux, de façon partagée avec d'autres fonctions. Par ailleurs, la méthodologie particulière de l’EEG et de la MEG permet de caractériser le décours temporel d’une succession d’évènements cognitifs – codant les étapes pré-lexicale et lexicale de la lecture de mots par exemple – ainsi que la modulation de ces évènements par différents facteurs.