D.3. Alexie et neuropsycholinguistique

Outre les apports initiaux de Broca, Wernicke et Déjerine à cette discipline, de nombreux cas de patients aphasiques ont été décrits depuis, permettant d’accroître les connaissances sur la localisation des aires cérébrales du langage. Les avancées des techniques d’imagerie anatomique et fonctionnelle ont beaucoup apporté au domaine de la neuropsycholinguistique, permettant d’étudier le cerveau de patients aphasiques sans avoir nécessairement recours à la dissection post-mortem.

A l’heure actuelle, on sait que les déficits de compréhension, impliquant à la fois le matériel auditif et visuel, sont typiquement associés à de larges lésions temporo-pariétales gauches, comprenant le gyrus temporal supérieur postérieur (aire de Wernicke), les lobes temporaux médian et inférieur ainsi que les gyri angulaire et supramarginal du lobe pariétal gauche (Alexander et al., 1989; Dejerine, 1892; Geschwind, 1965; Hart and Gordon, 1990; Kertesz et al., 1982). En ce qui concerne plus particulièrement la lecture, le tableau clinique de l’alexie peut se résumer ainsi :

- L’alexie phonologique est caractérisée par une difficulté majeure à lire les pseudo-mots. Le stade de traitement phonologique est déficitaire, impliquant des troubles de la lecture par conversion graphème/phonème, sans troubles de la voie directe de lecture (Beauvois and Derouesne, 1979; Derouesne and Beauvois, 1979). Elle a été associée à des lésions temporo-pariétales et frontales gauches.

- L’alexie de surface se caractérise principalement par une difficulté de lecture des mots irréguliers. Elle est associée à une atrophie du lobe temporal antéro-latéral (Patterson and Hodges, 1992).

- la dyslexie profonde est un trouble majeur de la lecture, regroupant les symptômes des alexies phonologique et de surface. Les patients atteints ont des difficultés à associer les lettres à leurs sons. Ils ont des difficultés à lire les pseudo-mots, et les mots abstraits (plus que les mots concrets). Ils font de nombreuses erreurs sémantiques – telles que ‘fusil’ lu comme ‘canon’. Cette pathologie se rencontre souvent comme une forme d’évolution des aphasies de type Broca.

- L’alexie centrale – alexie avec agraphie – est un trouble de la lecture associé à un trouble sévère de l'écriture, mais dans un tableau clinique où le langage oral est préservé. La lésion sous-jacente implique la région angulaire gauche (BA 39). S'il y a extension de la lésion au gyrus temporal postérieur, une aphasie sensorielle s'y rajoute.

- L’alexie frontale – alexie antérieure – est un trouble de la lecture faisant partie du tableau clinique de l'aphasie de Broca, où il se présente en parallèle aux troubles du langage expressif, suite à une lésion de l’aire frontale de Broca (BA 44/45).

- L'alexie agnosique (des lettres et/ou des chiffres) – alexie sans agraphie ou cécité verbale pure – se caractérise par l'incompréhension du langage écrit, même si le patient veut relire un de ses propres textes (les autres champs du langage étant préservés). Elle est liée à une lésion occipito-temporale gauche (Price and Mechelli, 2005), associée à une lésion du splenium du corps calleux (i.e. sa partie toute postérieure). Cliniquement, il existe une hémianopsie latérale homonyme droite et souvent des troubles de la reconnaissance d’autres symboles graphiques que les lettres (pictogrammes) ainsi qu’une agnosie des couleurs. Cohen et al. ont montré qu’un réseau alternatif occipito-temporal droit pouvait compenser la perte de son homologue gauche (Cohen et al., 2003). Ils ont également exploré les formes évolutives de cette alexie, aboutissant au syndrome de lecture lettre-à-lettre.

- Voisines bien que généralement moins sévères que l’alexie agnosique, les alexies "pures" présentent un certain nombre de caractères communs qui les opposent aux autres alexies : l’absence de troubles du langage oral à l'exception de quelques troubles de l'évocation verbale, la conservation de la stratégie perceptive de la lecture, l’intégrité de l'écriture sous dictée ou spontanée et de l'épellation, avec perturbation de la copie. Les lésions induisant des alexies pures sont occipitales (lobule lingual) et calleuses. Le rôle du corps calleux semble particulièrement déterminant : son interruption ne permettrait plus aux entrées visuelles arrivant seulement au lobe occipital droit (en raison de la présence constante d'une hémianopsie droite dans les cas d'alexie) de gagner les centres du langage dans l'hémisphère gauche.

- Certains patients héminégligents souffrent quant à eux d’alexie périphérique : l’héminégligence est une pathologie dans laquelle le patient souffre d’une négligence de tout ce qui se passe à gauche (ou à droite) dans son espace environnant. Pour ce qui est de la lecture, les patients souffrent d’alexie périphérique puisqu’ils ne lisent que la partie gauche (ou droite) d’un texte, et la partie gauche (ou droite) des mots (Hillis and Caramazza, 1991; Luo et al., 1998).