E.2. Corrélats neuroanatomiques du traitement de stimuli langagiers

E.2.a. Question de la latéralisation hémisphérique

Le problème de la localisation cérébrale des fonctions langagières contient une première question majeure non encore résolue : la latéralité hémisphérique. Une caractéristique du cerveau humain, qui le différencie de tous les autres organes ainsi que du cerveau de la plupart des animaux est que les deux hémisphères diffèrent fondamentalement anatomiquement et fonctionnellement (Geschwind and Levitsky, 1968; Habib et al., 1995). La manifestation la plus directe est celle de la latéralité manuelle : environ 70% de la population possède une préférence exclusive pour la main droite, 25% sont plus ou moins ambidextres et moins de 5% sont gauchers absolus. L’importance de la latéralité – qui est prise en compte dans les critères d’inclusion lors du recrutement de sujets – vient du fait qu’il existe une relation statistique entre manualité et latéralisation du langage : plus de 95% des droitiers absolus auraient les fonctions langagières dans les aires périsylviennes de l’hémisphère gauche, alors que 35 à 40% des ambidextres et gauchers auraient le langage à droite (Geschwind, 1970; Geschwind and Galaburda, 1985; Hecaen et al., 1981). Ceci explique le critère fondamental de recrutement – pour des expériences de neuroimagerie – de sujets uniquement droitiers, afin d’obtenir un échantillon statistiquement homogène en terme de latéralité cérébrale des fonctions langagières.

Chez les sujets droitiers ayant le langage latéralisé à gauche, l’hémisphère droit – spécialisé dans le traitement du matériel visuo-spatial – semble jouer un rôle malgré tout dans le traitement de certains paramètres du langage oral tels que la prosodie ou l’accent, dans le traitement du matériel émotionnel, et sans doute dans la capacité à gérer l’organisation discursive et textuelle. Des études sur des sujets adultes ayant des lésions acquises au sein de l’hémisphère droit ont montré que ces patients peuvent souffrir de déficits dans le traitement du langage non littéral, de l’humour, ou encore de troubles de la cohésion du discours (voir (joanette et al., 1990)). Chez les sujets droitiers, l’hémisphère gauche serait ainsi plutôt spécialisé dans les traitements de type séquentiel et analytique, tandis que l’hémisphère droit serait requis pour les traitements plus globalistes (Cornelissen et al., 2003). D’autre part, des études de patients avec lésion unilatérale ainsi que des études sur les champs visuels chez des sujets sains proposent que l’hémisphère gauche soit impliqué dans le traitement rapide et conceptuel du langage, en production et compréhension, alors que l’hémisphère droit serait plutôt lié au maintien à long terme de l’information verbale.

Si l’on admet l’idée d’une spécialisation de l’hémisphère gauche pour le traitement du langage, on peut se demander si cette spécialisation est innée ou si elle est tributaire de stimulations extérieures. Les deux hypothèses – qui ne semblent pas incompatibles – ont été avancées :

(1) Les deux hémisphères pourraient être équipotentiels à la naissance, avec une spécialisation hémisphérique relativement tardive (Lenneberg, 1967). Cette hypothèse est appuyée par des observations de prise en charge du langage par l’hémisphère droit dans des cas d’aphasie de l’enfant avec lésion hémisphérique gauche.

(2) Cette hypothèse de spécialisation tardive s’oppose à celle d’une spécialisation précoce, voire présente dès la naissance. Les observations physiologiques de Geschwind & Levitsky (Geschwind and Levitsky, 1968) montrant des différences anatomiques entre les deux hémisphères – la surface du planum temporal est beaucoup plus large à gauche qu’à droite – plaident en faveur de cette thèse.

Ainsi, les relations entre latéralisation hémisphérique et acquisition du langage sont encore mal connues. On ne sait pas si le langage est nécessaire à la latéralisation ou si celle-ci précède l’acquisition du langage.