Traitement sémantique

(A) Le traitement sémantique impliquerait les aires cérébrales temporo-pariétales et frontales inférieures bilatérales, avec une prédominance gauche (Bookheimer, 2002; Demonet et al., 1992; Fiez and Petersen, 1998; Petersen et al., 1988; Petersen et al., 1990; Price et al., 1996b; Pugh et al., 1996; Simos et al., 2000).

Plus précisément, les tâches de jugement sémantique semblent impliquer le gyrus frontal inférieur gauche (BA 47) (Booth et al., 2002; Hagoort et al., 1999), l’aire préfrontale postérieure gauche (BA 45) (Fiebach et al., 2002; Thompson-Schill et al., 1997) et frontale médiale gauche (BA 6) (Xu et al., 2002), le gyrus temporal moyen gauche (BA 21) (Booth et al., 2002) ou bilatéral (Hagoort et al., 1999; Xu et al., 2002) et temporal postérieur gauche, ainsi que les régions hippocampiques (Binder et al., 2003).

(B) Le lobe pariétal postérieur inférieur gauche, incluant le gyrus angulaire, est impliqué dans le traitement sémantique, en modalité visuelle ou auditive (Binder et al., 2003; Demonet et al., 1992; Demonet et al., 1994; Gorno-Tempini et al., 1998; Mummery et al., 1998).

Son rôle dans le traitement sémantique des mots lus ne faisant pas l’unanimité, le gyrus angulaire a été particulièrement étudié. Dans certains travaux, la lecture silencieuse active le gyrus angulaire (Bookheimer et al., 1995; Price et al., 1996a), particulièrement quand les mots forment des phrases (Bavelier et al., 1997; Bottini et al., 1994). D'autres études sur la lecture silencieuse utilisant des mots isolés ne montrent pas d'activation du gyrus angulaire (Beauregard et al., 1997; Brunswick et al., 1999; Herbster et al., 1997; Moore and Price, 1999; Rumsey et al., 1997a). Ainsi, cette région semble être liée à l'accès sémantique, plus marqué quand des phrases sont lues (Bavelier et al., 1997) ou quand des mots isolés sont présentés lentement (Price et al., 1996a) que quand des mots isolés sont présentés rapidement.

Cette implication du gyrus angulaire gauche est confirmée du fait de son activation dans des tâches sémantiques réalisées sur des objets (Vandenberghe et al., 1996) et des visages (Gorno-Tempini et al., 1998), et de sa sur-activation dans des tâches sémantiques versus phonologiques (Demonet et al., 1992).

Quel que soit son rôle fonctionnel, l’implication du gyrus angulaire gauche dans les processus de lecture est mise en évidence dans une étude de stimulation corticale directe (Roux et al., 2004) : on voit sur la figure ci-dessous (figure 1.12) que le gyrus angulaire (région grisée) est la quatrième région de l’hémisphère gauche la plus souvent impliquée dans la lecture, sur les 21 régions stimulées lors de l’étude.

Figure 1.12 : Localisations cérébrales (hémisphère gauche) des régions stimulées (stimulation corticale directe) au cours de tâches de lecture, chez 44 patients. Le cortex est schématiquement divisé en régions délimitées par des pointillés. Cercles = nombre de fois que la région corticale a été stimulée. Carrés = pourcentages d’interférences avec la lecture qui ont été observées sur le nombre total de stimulations réalisées dans la région (d’après (Roux et al., 2004)).
Figure 1.12 : Localisations cérébrales (hémisphère gauche) des régions stimulées (stimulation corticale directe) au cours de tâches de lecture, chez 44 patients. Le cortex est schématiquement divisé en régions délimitées par des pointillés. Cercles = nombre de fois que la région corticale a été stimulée. Carrés = pourcentages d’interférences avec la lecture qui ont été observées sur le nombre total de stimulations réalisées dans la région (d’après (Roux et al., 2004)).

(C) La jonction temporo-pariétale postérieure gauche et le lobe temporal antérieur inférieur gauche semblent aussi être impliqués dans le traitement sémantique, étant activés dans la lecture de mots versus pseudo-mots sans signification (Brunswick et al., 1999), dans la lecture de noms d’objets et de personnes célèbres versus pseudo-mots (Gorno-Tempini et al., 1998), ou encore dans des tâches de décision sémantique (vivant ou non ?) versus décision phonologique (deux syllabes ou non ?) sur des noms d’objets, d’animaux et de fruits (Price et al., 1997b).

Au sein du cortex temporal, il existerait des aires de différentes localisations anatomiques spécialisées dans l’accès à différents types d’attributs sémantiques (Damasio et al., 1996; Martin et al., 1995; Martin et al., 1996; Warrington and McCarthy, 1987; Warrington and McCarthy, 1994; Warrington and Shallice, 1984) :

(1) Une aire du lobe temporal postérieur médian gauche est plus activée pour la lecture de noms d’objets et de parties du corps que pour celle de noms de personnes célèbres (Gorno-Tempini et al., 2000). L’activation de cette aire augmente aussi quand les actions associées aux objets doivent être retrouvées (Martin et al., 1995). Quand les objets et les parties du corps sont nommés, des actions associées sont probablement récupérées implicitement, ce qui est moins probable dans une situation dans laquelle des noms de personnes célèbres sont donnés (Farah and McClelland, 1991; Martin et al., 1996; Warrington and Shallice, 1984).

(2) Réciproquement, une aire du cortex temporal antérieur inférieur est plus activée pour la lecture de noms de personnes célèbres que pour celle de noms d’objets (Gorno-Tempini et al., 1998), et pour la vision de visages célèbres que pour celle d’objets courants (Gorno-Tempini et al., 2000; Gorno-Tempini et al., 1998). Elle est aussi plus activée pour la lecture de phrases grammaticales que quand l’ordre des mêmes mots est mélangé (Vandenberghe et al., 2002), pour la lecture de phrases que pour celle de mots isolés (Bottini et al., 1994; Mazoyer et al., 1993), ou pour la lecture d’histoires versus lecture de phrases sans relation (Fletcher et al., 1995). L’activation dans le lobe temporal antérieur inférieur augmenterait quand les attributs sémantiques deviennent plus spécifiques. Par exemple, les personnes célèbres sont associées à des mémoires biographiques très spécifiques et les phrases requièrent l’intégration de nombreux attributs sémantiques en concepts plus spécifiques.

(D) L’aire fusiforme médiane (BA 20) près du sulcus collatéral (qui sépare les gyri fusiforme et parahippocampique), est communément activée par la vision de mots ou d’images (Bookheimer et al., 1995; Damasio et al., 1996; Herbster et al., 1997; Martin et al., 1996; Moore and Price, 1999). Cette aire est aussi plus active quand les gens écoutent des noms d’objets et imaginent le stimulus versus quand des mots abstraits sont entendus passivement (D'Esposito et al., 1997). D’Esposito et al. (D'Esposito et al., 1997) ont associé cette région aux attributs visuels de la mémoire sémantique mais sans être spécifique à la mémoire visuelle puisque la même aire est activée quand des sujets aveugles de naissance lisent des mots abstraits en Braille, soit en utilisant un input tactile (Buchel et al., 1998; Moore and Price, 1999).

(E) Nous venons de voir que l’aire de Broca est impliquée dans le traitement de l’information sémantique, alors que nous l’avions précédemment décrite comme impliquée dans le traitement de l’information phonologique. Le gyrus frontal inférieur gauche semble donc être une région impliquée dans la formation et la récupération des encodages phonologique et sémantique (Fiebach et al., 2002; Fiez et al., 1999).

Il semble que cette région puisse être décomposée en sous zones distinctes, pour le traitement phonologique d’une part, pour le traitement sémantique d’autre part :

(1) Le gyrus frontal inférieur postérieur gauche – cortex prémoteur ; BA 6/44 ; pars opercularis – associé au cortex pariétal inférieur – gyrus supramarginal ; BA 40 – et au précunéus bilatéral – BA 7 – serait activé lors des traitements phonologiques.

(2) Les aires antérieures du cortex préfrontal ventral (BA 45/47) et dorsal (BA 44/45), associées au gyrus temporal postérieur inférieur moyen gauche – BA 21/37 – et au lobe pariétal gauche postérieur inférieur – gyrus angulaire ; BA 39 – seraient plus spécifiquement impliquées dans les processus sémantiques (Dapretto and Bookheimer, 1999; Devlin et al., 2003; Gabrieli et al., 1998; Gold and Buckner, 2002; McDermott et al., 2003; Poldrack et al., 1999).

Il est important de signaler aussi que certains auteurs proposent que le gyrus frontal inférieur gauche ait un rôle plus général d’inhibition des attributs du stimulus non pertinents pour la tâche réalisée (Barde and Thompson-Schill, 2002; Gold and Buckner, 2002; Thompson-Schill et al., 1997).