E.4. Résultats complémentaires : études de tractographie

En 1985, une modification de l’Imagerie par Résonance Magnétique conventionnelle a permis de quantifier les caractéristiques de diffusion des molécules d’eau, in vivo (Le Bihan and Breton, 1985). A l’intérieur de la matière blanche, les molécules d’eau diffusent plus facilement le long des fibres myélinisées qu’à travers elles (Moseley et al., 1990). Cette dépendance directionnelle de diffusion est appelée anisotropie. En couplant les données d’anisotropie avec celles de dépendance directionnelle de diffusion de l’eau, il est possible d’estimer l’orientation tridimensionnelle des fibres de matière blanche dans le cerveau d’un être humain vivant, de manière non invasive. Cette découverte méthodologique a mené à la technique récente de tractographie en imagerie par résonance magnétique avec diffusion de tenseur ‘in vivo’ (DT-IRM) (Basser et al., 1994). Cette technique a déjà permis d’étudier la neuroanatomie des fibres de matière blanche dans différentes régions du cerveau (voir entre autres (Catani et al., 2003; Jones et al., 1999; Poupon et al., 2000)). Dans une récente étude en DT-IRM, Catani et al. ont étudié l’anatomie du faisceau arqué et la connectivité des aires périsylviennes du langage (Catani et al., 2005). Au-delà de la classique connexion directe – long segment – entre les aires de Broca et Wernicke par le faisceau arqué (cf. paragraphe D.2), Catani et al. ont mis en évidence une voie indirecte passant par le cortex pariétal inférieur (Catani et al., 2005) (voir la figure 1.14). Cette voie indirecte est parallèle et latérale au faisceau arqué classique et est composée d’un segment antérieur reliant le territoire de Broca au lobe pariétal inférieur et un segment postérieur reliant le lobe pariétal inférieur au territoire de Wernicke. La région particulière du lobe pariétal inférieur, carrefour entre les régions de Broca et Wernicke, est appelée région de Geschwind. Ces résultats vont dans le sens du modèle proposé par Lichtheim en 1885 (Lichtheim, 1885), supportant l’idée de deux voies, directe et indirecte, des aires de Broca à Wernicke.

Figure 1.14 : Résultats de tractographie montrant la liaison directe des territoires de Wernicke à Broca (long segment) et la liaison indirecte, passant par le territoire de Geschwind (segments antérieur et postérieur) (tiré de (Catani et al., 2005))
Figure 1.14 : Résultats de tractographie montrant la liaison directe des territoires de Wernicke à Broca (long segment) et la liaison indirecte, passant par le territoire de Geschwind (segments antérieur et postérieur) (tiré de (Catani et al., 2005))

Le modèle de XIXe siècle, de type associationniste, stipulait que les informations linguistiques soient traitées dans des régions corticales localisées, avec passage sériel d’information d’une région à une autre par des fibres de matière blanche. Les alternatives de type connexionniste proposent que les traitements se fassent de manière parallèle et distribuée, dans différents groupes de neurones interconnectés plutôt que dans des centres. Bien que ces seules données de tractographie ne puissent trancher entre les deux types de modèles, elles sont tout de même fortement en faveur des modèles connexionnistes : les résultats sont incompatibles avec une idée de centres de traitements localisés, Catani (Catani et al., 2005) proposant plutôt une conception de territoires du langage, relativement étendus. L’autre donnée allant à l’encontre du modèle associationniste est que les faisceaux de fibres sont très larges, ce qui semble incompatible avec l’idée d’un simple transfert sériel d’information. Leur taille suggère plutôt que des sous-régions de ces faisceaux connectent différents territoires linguistiques en parallèle. L’idée émergeant de ces résultats est plutôt celle de connexions multiples et parallèles entre certaines régions linguistiques spécialisées des territoires de Broca, Wernicke et Geschwind, ce qui est en accord avec le modèle de langage de Mesulam (Catani et al., 2005; Mesulam, 1990). Ces résultats sont aussi parfaitement en accord avec les données de neuropsycholinguistique, puisque les aphasies de conduction peuvent être expliquées par une rupture du long segment, les aphasies motrice transcorticales par une rupture du segment antérieur, et les aphasies sensorielles transcorticales par celle du segment postérieur (Catani et al., 2005).