Chap 4. Mise en évidence d’effets "top-down" lexicaux – Tâche d’identification de lettres

A. Introduction

A.1. Mise en évidence du lexique mental et des effets “top-down” lexicaux

La lecture experte a un certain nombre de particularités permettant de mettre en évidence l’existence d’un lexique mental qui facilite la reconnaissance des mots connus par effet “top-down” :

(1) Un lecteur expert parcourt un texte du regard en reconnaissant en moyenne 4.8 mots par seconde (Rayner and Pollatsek, 1989). Ce résultat de psychophysique ne peut s’expliquer si l’on ne tient compte que de l’acuité visuelle pour modéliser la lecture. Il semble donc nécessaire de faire intervenir le stockage de mots dans le lexique mental, dont l’influence s’ajoute à celle de l’acuité visuelle.

(2) Un adulte normo-lecteur peut rapidement identifier des mots malgré de grandes variations de paramètres tels que la position rétinienne, la taille, la couleur, la police ou la casse (Cohen and Dehaene, 2004; Cohen et al., 2000; Cohen et al., 2002; Dehaene et al., 2002; Dehaene et al., 2001). Même des formes de mots non familières, telles que “MiXeD cAsE”, ne posent pas de difficultés majeures à notre système de reconnaissance visuelle de mots (Mayall, 2002; Mayall et al., 1997; Paap et al., 1984). Ainsi, la ‘mémoire des mots’ serait contenue dans un ‘lexique mental’ sous forme d’invariants, permettant la reconnaissance rapide d’un mot quelle que soit l’écriture utilisée.

(3) Certains auteurs ont mis en évidence une absence d’effet de longueur dans la lecture de mots : la reconnaissance visuelle d’un mot nécessiterait un temps constant, si celui-ci est formé de 3 à 6 lettres (Lavidor and Ellis, 2002). Les influences du lexique mental semblent donc pouvoir diminuer les effets de longueur dus à la diminution de l’acuité visuelle à distance de la fovéa.

(4) Enfin, la démonstration la plus évidente de l’aide lexicale au cours de la lecture est le phénomène du “Word Superiority Effect” : une lettre est plus facilement reconnue si elle est contenue dans un mot plutôt que dans un non-mot, ou si elle est présentée isolément (McClelland, 1979; McClelland and Rumelhart, 1981; Proverbio et al., 2004; Reicher, 1969) (voir chapitre 3 ; paragraphe A.2). Le contexte lexical d’une lettre facilite sa reconnaissance, ce qui démontre l’existence d’une influence lexicale de haut niveau.

Ces différentes observations laissent supposer que la reconnaissance visuelle d’un mot se fait en interaction avec une représentation abstraite et invariante du stimulus, stockée en mémoire : la “forme visuelle du mot“ (ou “visual word form”) (Caramazza and Hillis, 1990; Cohen et al., 2000; Cohen et al., 2002; Dehaene et al., 2002; McCandliss et al., 2003; Molko et al., 2002; Warrington and Shallice, 1980). Ces “visual word forms” seraient stockées dans un hypothétique lexique mental. La reconnaissance ultérieure d’un même mot serait facilitée et accélérée – par effet “top-down” – grâce à l’intervention de sa forme abstraite stockée en mémoire.