Evènement N1 et effets "Top-down" lexicaux

Le postulat de départ de notre étude est qu’une meilleure performance dans l’identification de lettres dans un mot versus non-mot peut être expliquée par l’intervention de processus "Top-down", dans le sens où l’information lexicale d’un mot en mémoire augmente le niveau d’activation de toutes les lettres de ce mot. Cette différence de performance entre les contextes lexicaux a été observée au niveau des résultats comportementaux. Ces effets "Top-down" ont donc été mis en place au cours de la tâche, et seront mis en évidence au niveau des PE par la première divergence de traces entre les deux contextes. Il semble alors que la représentation d’un mot en mémoire influence l’identification d’une de ses lettres approximativement 200 ms après présentation du stimulus, puisque les premières divergences significatives de traces entre les deux conditions ‘Mot’ et ‘Non-mot’ ont été observées au niveau du pic N1, à 200 ms, dans les régions occipitales bilatérales.

Nous avons stipulé dans la présentation des résultats que l’évènement P1’ était un ‘accident’ dans le tracé de potentiels induit par l’apparition du masque dans le design expérimental. Or, ce pic induit un délai dans la latence du pic N1 (voir figures 4.4 et 4.5). En tenant compte de ce délai, la N1 peut être comparée à l’évènement N170 décrit dans la littérature (Bentin et al., 1999; Rossion et al., 2003) (voir aussi la M170 décrite dans les résultats de MEG (Stockall et al., 2004; Tarkiainen et al., 1999)).

Puisque la N170 est considérée comme reflétant le traitement pré-lexical d’une séquence de lettres (Bentin et al., 1999; Cornelissen et al., 2003) (voir chapitre 1 ; paragraphe E.6.b), nos résultats suggèrent que les représentations lexicales en mémoire influencent l’identification de lettres à un niveau pré-lexical. Différents auteurs proposent que l’onde N1 reflète une activité neuronale dans le cortex extra-strié (Kuriki et al., 1998; Proverbio and Zani, 2003). Ainsi, nous supposons que les effets "Top-down" lexicaux influencent l’activité neuronale dans les aires extra-striées, ce qui est congruent avec les résultats d’études antérieures (Dolan et al., 1997; Frith and Dolan, 1997).

Sauseng et al., à l’aide d’un autre type de paradigme expérimental, mettent en évidence des effets "Top-down" lexicaux sur le traitement de séquences de lettres 160 ms après présentation des stimuli (Sauseng et al., 2004). L’utilisation, dans notre expérience, d’un masquage et de temps de présentation des stimuli très courts a pu entraîner un délai dans l’apparition des différences de traitement entre les contextes lexicaux. Ceci pourrait expliquer la différence de 40 ms obtenue entre les deux études.

Quelle que soit la latence des différences de traitement entre les deux contextes, les deux études sont en accord pour situer les effets "Top-down" lexicaux au niveau du traitement pré-lexical des séquences de lettres.

De nombreuses concordances avec les données de la littérature nous incitent à penser que l’onde N1 observée dans cette étude reflète un traitement pré-lexical, influencé par des effets "Top-down" lexicaux. Nous ne pouvons pourtant pas exclure l’hypothèse de Sereno et al. (Sereno et al., 2003; Sereno et al., 1998), supportée par les résultats de Balota et al. (Balota, 1990), selon laquelle l’onde N1 reflèterait un traitement lexical plutôt que pré-lexical. En effet, bien que la tâche de cette expérience soit d’identifier des lettres, il est possible que les sujets traitent implicitement les séquences de lettres, traitement entraînant un accès au lexique pour les mots et pas pour les non-mots. Cette différence de traitement lexical serait reflétée par la variation significative d’amplitude entre les ondes N1 des deux conditions. L’onde NLeft ne serait alors que le prolongement dans le temps, au niveau de l’hémisphère gauche, de l’onde N1 reflétant un traitement lexical.