E.4. Discussion

L’identification de lettres en positions 1 ou 5 d’une séquence induit une P1 dans l’hémisphère controlatéral à l’hémichamp visuel stimulé, environ 100 ms après stimulation. Par contre, nous n’observons pas de P1 au niveau de l’hémisphère ipsilatéral, pour la même fenêtre temporelle. Ainsi, la première conclusion que l’on peut tirer de cette dernière analyse est que l’information visuelle provenant d’items présentés en vision fovéale n’est pas envoyée simultanément aux deux hémisphères cérébraux, quand ces items sont fixés à leurs extrémités. Cette hypothèse a déjà été émise par Brysbaert (Brysbaert, 1994; Brysbaert, 2004), bien que l’idée que les mots présentés en vision fovéale soient transmis (en deux copies complètes) en parallèle aux deux hémisphères soit fréquemment défendue (Leventhal et al., 1988; Stone et al., 1973; Trauzettel-Klosinksi and Reinhard, 1998).

Ces résultats suggèrent aussi qu’une quantité minimale d’information visuelle est nécessaire pour induire un évènement P1 dans le cortex visuel controlatéral. En deçà du seuil de 1,5 lettres présentes dans un hémichamp, aucune P1 n’est enregistrée dans l’hémisphère controlatéral. Au-delà de ce seuil, tout stimulus visuel produira une P1 avec la même amplitude et la même latence quelle que soit la quantité d’information graphique.

La forte interaction entre positions et hémisphères observée dans l’analyse des latences de P1 illustre le fait que ces latences sont très différentes dans les deux hémisphères selon la position de la lettre dans la séquence.

Par ailleurs, la latence moyenne de P1 est significativement plus grande pour la position 1 que pour la position 5 : ceci suggère une différence de temps de transfert interhémisphérique de l’hémisphère droit au gauche et inversement. Cette suggestion est confirmée par les calculs de temps de transfert : dans le cas particulier de notre étude, le transfert hémisphérique se fait en 30-40 ms environ. Il a tendance à être plus rapide de l’hémisphère droit à l’hémisphère gauche (28 ms) que dans le sens inverse (40 ms), même si ce résultat n’est pas statistiquement significatif. Ce temps de transfert plus rapide de droite à gauche que de gauche à droite a déjà été mis en évidence par différents auteurs (Ipata et al., 1997; Saron and Davidson, 1989).

Dans les précédentes études sur l’IHTT que nous avons recensées, ce temps de transfert est estimé à environ 10-15ms (Brown et al., 1998; Saron and Davidson, 1989). Les valeurs d’IHTT que nous obtenons, plus élevées que celles précédemment publiées dans la littérature, peuvent s’expliquer par le fait que les stimuli de cette expérience sont complexes, de type lexical, alors que des damiers ou des flashs lumineux étaient utilisés dans les précédentes expériences. Par ailleurs, nos résultats sont en accord avec l’hypothèse émise par Ono et al. selon laquelle les délais interhémisphériques mesurés grâce aux Potentiels Evoqués devraient être supérieurs au temps de conduction axonale interhémisphérique estimé à environ 20 ms (Ono et al., 2002).