E.1. Effet de l’attention sélective sur la réalisation de la tâche de décision lexicale

E.1.a. Effet de l’attention sélective sur le complexe P1/N1

Le complexe P1/N1 est indépendant de l’attention sélective (voir analyse 1). Ainsi, l’attention sélective portée sur les mots ou les pseudo-mots n’influence pas leurs traitements respectifs dans les 150 premières ms après présentation de l’item.

Les latences et topographies de ces deux ondes correspondent à celles des évènements P1 et N1 classiquement décrits dans la littérature (Cornelissen et al., 2003; Pammer et al., 2004; Tarkiainen et al., 2002). Comme nous l’avons présenté dans notre problématique, nous sommes partis de l’hypothèse que l’onde P1 reflétait le traitement des traits visuels d’une séquence de lettres, alors que l’onde N1 refléterait la phase de traitement des lettres de la séquence. Ainsi, l’attention sélective n’aurait pas d’influence sur le traitement des mots et des pseudo-mots lors des phases d’analyse des traits visuels et des lettres.

La P1 peut être influencée par des effets "Top-down" attentionnels pour des stimuli simples, tels que des objets, des visages et des photos d’animaux (Taylor, 2002). Contrairement à nos attentes, il semble qu’elle ne le soit pas dans cette expérience pour des stimuli formés de séquences de lettres.

Par ailleurs, dans le cadre particulier de cette tâche, l’attention sélective portée sur les mots – par exemple – pourrait ne pas influencer le traitement des lettres composant ce mot. Ceci peut sembler contradictoire avec nos attentes, ainsi qu’avec les résultats obtenus dans l’expérience testant les effets "Top-down lexicaux" (voir chapitre 4) : nous avons conclu de notre étude précédente que le traitement des lettres d’un mot était influencé par le lexique mental. En supposant que l’attention sélective portée sur les mots induise une ‘pré-activation’ du lexique mental, nous supposions que cette attention sélective influence le stade de traitement des lettres d’un mot – par l’intermédiaire du lexique mental. Deux hypothèses peuvent expliquer ce résultat :

(1) Tout d’abord, la tâche est d’une grande complexité. Les sujets débutent un essai en devant réaliser une décision lexicale sur un stimulus, qui selon sa nature et selon la consigne, les mèneront à répondre immédiatement ou à différer leur décision après le traitement d’un second stimulus. Il se peut que cette tâche soit trop complexe pour permettre à l’attention sélective de produire – par l’intermédiaire du lexique mental – une influence significative sur le traitement des lettres des mots et pseudo-mots.

(2) L’autre hypothèse est que l’attention sélective n’induise pas de pré-activation du lexique mental, ou bien une pré-activation de ce lexique identique pour les cibles ‘Mots’ et ‘Pseudo-mots’, du fait que ces derniers sont très proches orthographiquement de mots réels. En effet, dans cette étude, mots et pseudo-mots pourraient induirent un accès au lexique, ce contexte expérimental étant différent de celui de l’étude précédente dans laquelle les mots étaient comparés à des non-mots, clairement non candidats à l’accès lexical.

Nous pouvons privilégier la première hypothèse grâce aux résultats obtenus dans la seconde analyse : dans un ‘contexte facilitateur’ (lors du traitement du second item d’une paire, i.e. avec amorçage en mémoire de travail du traitement lexical), l’onde N1 est légèrement mais significativement plus précoce lorsque les cibles sont les mots plutôt que les pseudo-mots. Deux facteurs importants sont à prendre en compte pour discuter de ce nouveau résultat :

(1) les conditions pour lesquelles le stade de traitement des lettres est plus précoce sont celles pour lesquelles le premier item de la paire était un mot (et coïncidait avec la catégorie cible ; conditions Mmm et Mmp). Il existe donc pour ces deux conditions un contexte particulier : l’attention sélective est portée sur les mots, et un item ‘Mot’ vient d’être traité. Le contexte particulier créé par le traitement lexical précédent pourrait favoriser l’influence "Top-down" du lexique mental, qui n’était pas ‘suffisante’ dans le contexte précédent (après présentation du premier item d’une paire).

(2) De plus, après présentation du second item d’une paire, les sujets n’ont plus à différer leur prise de décision, ils ont une décision lexicale classique à réaliser, avec nécessairement prise de décision et réponse. Cette situation de tâche moins complexe pourrait aussi faciliter les effets de l’attention sélective.

Les deux hypothèses ne sont pas exclusives, et il faut probablement prendre les deux en compte pour expliquer l’effet facilitateur de l’attention sélective observé sur le traitement des lettres des items présentés en seconde et non pas en première position d’une paire. Toutefois, ce résultat suggère que l’attention sélective peut influencer le stade de traitement des lettres d’une séquence, ce qui est concordant avec les données de la littérature (Fink et al., 1996; Frith and Dolan, 1997). Ainsi, "la focalisation d’attention sur un certain type de stimuli induit une modification de la réponse neurale dans les aires cérébrales spécialisées dans l’analyse de ce type précis de stimuli" (Frith and Dolan, 1997).

Pour finir, il est intéressant de noter que l’effet facilitateur de l’attention sélective portée sur les mots influence de manière équivalente le traitement des mots et des pseudo-mots (effet d’attention sélective, pas d’effet de congruence et pas d’interaction ; voir l’analyse 2). Ainsi, il semble bien que l’attention sélective pour la catégorie ‘Mot’ induise une pré-activation du lexique mental. Ce lexique mental produit ensuite des effets "Top-down" facilitateurs sur le stade de traitement des lettres d’un mot, ou d’un pseudo-mot (ressemblant orthographiquement à un mot).