Evènement P300 et temps de catégorisation des stimuli

Dans cette étude, témoins et dyslexiques ne diffèrent pas au niveau de l’onde P300 : si la latence de la P300 reflète le temps de catégorisation du stimulus traité (Kutas et al., 1977; McCarthy and Donchin, 1981; Polich, 1986), témoins et dyslexiques catégorisent plus rapidement les non-mots que les mots. Ceci peut sembler contradictoire avec le fait que les sujets dyslexiques ont un déficit de traitement de la forme des mots. Pourtant, nous pouvons expliquer ce phénomène par le fait que les mots et les non-mots, dans notre étude, ont des différences de ‘formes’ très importantes : les non-mots sont des successions de consonnes, aisément catégorisées comme n’étant pas des mots, même si le traitement des mots est déficitaire. La même expérience réalisée avec des mots et des pseudo-mots (séquences de lettres prononçables, proches visuellement de ‘vrais’ mots, mais sans signification dans la langue française) aurait sans doute provoqué des différences de temps de catégorisation entre les deux groupes de sujets. Nous pouvons donc déduire de cette étude que les sujets dyslexiques ne diffèrent pas des sujets témoins pour identifier un non-mot comme une chaîne de caractères non lexicale, même s’ils souffrent d’un déficit de traitement de la forme globale des mots.

De même que pour les autres composantes électrophysiologiques, les effets "Bottom-up" de temps de présentation n’induisent pas d’effet de groupe sur la P300 : sujets témoins et dyslexiques catégorisent plus rapidement les stimuli, quel que soit le contexte lexical, s’ils ont été présentés plus longtemps. Il semble ainsi que les sujets dyslexiques souffrent plus de déficits dans les processus "Top-down" que "Bottom-up".

Les sujets témoins et dyslexiques ne diffèrent pas, dans cette étude, pour ce qui est de la quantité de ressources attentionnelles allouées à la tâche. Cette variable est reflétée par l’amplitude de la P300 (Kramer and Strayer, 1988; Wickens et al., 1983), qui ne diverge pas entre sujets témoins et dyslexiques. Les effets de type "Bottom-up" induits par l’augmentation du temps de présentation diminuent la charge attentionnelle pour les deux groupes de sujets.

Cette diminution d’amplitude de la P300 avec augmentation du TP n’était pas significative dans l’étude réalisée chez les sujets normo-lecteurs (chapitre 4), mais une tendance était observée sur les tracés (voir figure 6.4, tracé des sujets témoins). Ainsi, nous pouvons ajouter à l’étude précédente que la charge attentionnelle est dépendante des effets "Bottom-up" de temps de présentation, ces effets étant faibles et nécessitant une population de sujets suffisamment importante pour être significatifs.

Aucun déficit de temps de catégorisation ou de charge attentionnelle n’est donc observé chez les sujets dyslexiques ayant réalisé cette étude. Or, différentes études ont rapporté que la P300 est réduite ou retardée chez les sujets dyslexiques (Holcomb et al., 1986; Lovrich and Stamm, 1983; Taylor and Keenan, 1990), que ces anomalies de P300 soient dues à la dyslexie en temps que telle, ou à ses troubles attentionnels associés (Taylor, 1995).

Cette absence de troubles attentionnels chez les sujets dyslexiques testés peut être due au fait que la tâche proposée dans cette étude ne nécessite qu’une charge attentionnelle relativement faible, ce qui ne permettrait pas de différencier témoins et dyslexiques sur ce processus cognitif particulier. Nous affinerons cette discussion à la suite de la présentation de la tâche attentionnelle (voir chapitre 5 pour les résultats des sujets normo-lecteurs) que nous avons proposée à la même population de sujets dyslexiques, et dont les résultats seront décrits à la suite de ce chapitre.

Nous pouvons résumer les principaux résultats obtenus grâce à l’étude comparative des sujets normo-lecteurs et dyslexiques (voir le schéma présenté figure 6.5) :

Figure 6.5 : Schéma de synthèse des effets "Bottom-up" et "Top-down" influençant l’identification de lettres (toutes positions de regard confondues) chez des sujets adultes normo-lecteurs ou dyslexiques.
Figure 6.5 : Schéma de synthèse des effets "Bottom-up" et "Top-down" influençant l’identification de lettres (toutes positions de regard confondues) chez des sujets adultes normo-lecteurs ou dyslexiques.