C. Dyslexie et effets "Top-down" attentionnels

C.1. Introduction

L’expérience basée sur le paradigme ‘Hold/Release’ – présentée au chapitre 5 – nous a permis de définir différents effets "Top-down" attentionnels au cours d’une tâche de décision lexicale sur des paires de stimuli. L’incidence de ces effets attentionnels a été étudiée, chez des sujets normo-lecteurs, au niveau de trois évènements électrophysiologiques majeurs : les ondes P1, N1 et P300.

La même tâche a été proposée à un groupe de sujets dyslexiques. Les résultats électrophysiologiques obtenus sont extrêmement bruités (voir figure 6.10), et les évènements P1 et N1 sont difficilement identifiables au niveau des tracés de potentiels individuels. Nous expliquons cette observation préliminaire par :

(1) le fait que la population de sujets dyslexiques recrutés pour cette expérience ne comprend que 8 sujets, alors que la population contrôle comprend 16 sujets.

(2) Par ailleurs, la tâche est très complexe et stressante pour les dyslexiques. La majorité des sujets dyslexiques confiaient lors du débriefing que la tâche leur avait posé beaucoup de difficultés, puisqu’elle nécessite une attention très soutenue, et la réalisation successive et rapide de deux décisions lexicales – tâche beaucoup plus coûteuse pour les sujets souffrant de dyslexie développementale que pour les sujets normo-lecteurs.

(3) Du fait de cette complexité de la tâche, les sujets dyslexiques commettent de nombreuses erreurs. Puisque nous retirons les portions de tracés correspondant aux mauvaises réponses des sujets, les tracés que nous obtenons sont réalisés sur la moyenne de peu d’essais, ce qui diminue le rapport signal/bruit.

(4) De plus, la dyslexie est un trouble de la lecture ayant une symptomatologie très variée, et les populations de dyslexiques regroupent donc des individus très différents d’un point de vue des capacités cognitives. L’hétérogénéité de la population peut aussi expliquer le fait que les résultats électrophysiologiques ne soient pas aussi ‘nets’ que pour la population témoin.

Quelle que soit la raison de cette observation, nous avons considéré que les ondes P1 et N1 n’étaient pas analysables pour le groupe de sujets dyslexiques. Nous allons dons restreindre l’étude comparative des deux populations à l’analyse de l’onde P300 et de la dérive négative de potentiel. Ces deux évènements reflètent la charge attentionnelle et la charge en mémoire de travail, qui sont connues pour être déficitaires chez de nombreux sujets dyslexiques. Nous allons, grâce à notre paradigme particulier, pouvoir observer les différents effets "Top-down" attentionnels influant sur ces deux variables, chez des sujets dyslexiques.

L’analyse de la population de sujets normo-lecteurs nous a permis de mettre en évidence différents effets attentionnels ayant une incidence sur l’onde P300 et sur la dérive négative de potentiel (observée entre la P300 sur le premier item et la présentation du second item d’une paire) :

(1) le temps de catégorisation d’un stimulus est indépendant de l’attention sélective du sujet portée sur une catégorie cible particulière. Par contre, il est fortement dépendant de la congruence du stimulus avec cette catégorie cible, quelle que soit la charge en mémoire de travail et l’amorçage lexical.

(2) La quantité de ressource attentionnelle allouée au traitement d’un stimulus est indépendante de l’attention sélective portée à une catégorie et de la congruence du stimulus avec cette catégorie, lorsque la tâche est ‘facilitée’ par un amorçage du traitement lexical en mémoire de travail. Si la tâche est plus complexe et non amorcée, la charge attentionnelle deviendra dépendante de ces deux facteurs : la P300 traduit alors une mobilisation attentionnelle maximale quand le sujet doit se placer dans une situation de maintien d’attention, de stockage d’information en mémoire de travail et d’accès implicite à la mémoire lexicale.

(3) La ressource attentionnelle allouée au traitement d’un stimulus et le temps de catégorisation de ce stimulus sont très fortement dépendants du soutien de l’attention du sujet.

(4) Enfin, l’onde P300 sur le premier item est suivie d’une dérive négative de potentiel. Cette dérive est plus importante en condition ‘Hold’ (maintien de l’attention) que ‘Release’ (relâchement de l’attention), ainsi qu’en condition ‘cible Mot’ plutôt que ‘cible Pseudo-mot’. Elle reflète la charge en mémoire de travail.

En se basant sur les résultats obtenus dans cette étude par les sujets normo-lecteurs ainsi que sur les connaissances publiées antérieurement sur ‘électrophysiologie et dyslexie’ (voir chapitre 1 ; paragraphe E.7), nous avons pu émettre un certain nombre d’hypothèses quant aux résultats attendus chez des sujets dyslexiques réalisant la même tâche :

(1) bien qu’il soit difficile de prédire si les anomalies de P300 observées chez les sujets dyslexiques sont dues à la dyslexie en tant que telle ou à des troubles attentionnels associés (Taylor, 1995), il n’en demeure pas moins que l’onde P300 est réduite et/ou retardée chez les sujets dyslexiques (Holcomb et al., 1986; Lovrich and Stamm, 1983; Taylor and Keenan, 1990). En effet, les dyslexiques ayant fréquemment des troubles attentionnels associés (Demonet et al., 2004; Ramus, 2001; Valdois et al., 2004), ainsi que des déficits de catégorisation des stimuli langagiers (Fletcher and Prior, 1990; Miller-Shaul and Breznitz, 2004; Murphy et al., 1988), nous supposons que l’onde P300 observée dans notre population de sujets dyslexiques sera significativement moins ample et retardée par rapport aux sujets contrôles.

(2) Par ailleurs, la dyslexie comprend fréquemment parmi ses symptômes des déficits de capacité en mémoire de travail (Demonet et al., 2004; Jeffries and Everatt, 2004; Kibby et al., 2004; Ramus, 2001). Si la dérive négative de potentiel – observée dans la fenêtre temporelle [600 – 780] ms, chez les sujets témoins – est due au stockage d’information en mémoire de travail, nous faisons l’hypothèse que cette dérive négative sera absente ou moins ample chez les sujets dyslexiques.