C.4. Discussion

C.4.a. Variations de l’onde P300 entre les deux groupes de sujets, après présentation du premier item d’une paire

Quelles que soient les conditions d’attention sélective et de congruence, l’onde P300 est significativement retardée et moins ample chez les sujets dyslexiques par rapport aux sujets contrôles. Ceci est congruent avec nos hypothèses, ces mêmes observations ayant déjà été rapportées par différents auteurs (Holcomb et al., 1986; Lovrich and Stamm, 1983; Taylor and Keenan, 1990).

Si la latence de la P300 reflète le temps de catégorisation d’un stimulus (Kutas et al., 1977; McCarthy and Donchin, 1981; Polich, 1986), et si son amplitude reflète la charge attentionnelle allouée à ce traitement (Kramer and Strayer, 1988; Wickens et al., 1983), nous pouvons déduire que la population de sujets dyslexiques testée nécessite plus de temps que les sujets normo-lecteurs pour catégoriser des stimuli langagiers, et souffre par ailleurs d’un déficit en ressource attentionnelle.

Les effets de l’attention sélective sur la charge attentionnelle ne diffèrent pas significativement entre les sujets témoins et dyslexiques. Par ailleurs, la congruence d’un stimulus avec la catégorie cible induit des variations significatives de la charge attentionnelle chez les sujets témoins, pas chez les sujets dyslexiques.

Les effets de congruence proviennent de la mise en correspondance du résultat du traitement de l’item avec la catégorie cible (l’item ayant été traité, est-ce qu’il correspond à la catégorie linguistique sur laquelle est focalisée l’attention sélective ou non ?). Or, nous avons vu précédemment que l’attention sélective des sujets dyslexiques n’est pas déficitaire pour le traitement étudié. Il semble donc que la différence entre les deux groupes de sujets pour les effets de congruence provienne d’un déficit, pour les sujets dyslexiques, dans le traitement des séquences de lettres.

Les résultats de cette expérience ne nous permettent pas de définir quel(s) stade(s) de traitement est (sont) déficitaire(s) chez les sujets dyslexiques. Nous ne pouvons pas non plus définir si le déficit provient d’un défaut ou d’un retard dans le traitement : au moment où le ‘matching’ entre le stimulus et la catégorie cible devrait se faire, ou bien le traitement de l’item a été déficitaire, ou bien il n’est pas achevé. Toutefois, nous pouvons émettre des hypothèses :

(1) Salmelin et al. ont montré dans différentes études en MEG que les sujets dyslexiques ne diffèrent pas des normo-lecteurs pour le traitement des traits visuels (environ 100 ms après présentation du stimulus). Par contre, les ondes reflétant le traitement des lettres et le traitement des mots (150 et 200 ms environ après l’onset) sont retardées et moins amples (Salmelin et al., 2000; Salmelin et al., 1996).

(2) Notre étude sur les effets Top-down lexicaux chez les sujets dyslexiques – présentée précédemment dans ce chapitre – nous a permis de mettre en évidence que les phases de traitement des lettres et des mots étaient déficitaires chez les sujets dyslexiques, la phase de traitement des traits visuels étant ‘épargnée’.

(3) Bien que les données soient trop bruitées pour être analysées statistiquement, on voit sur la figure 6.11 (flèches rouges) que l’onde P1 semble identique chez les sujets témoins et dyslexiques, alors que l’onde N1 n’est pas observé sur les tracés de PE des sujets dyslexiques.

Il est donc probable que, dans notre étude, les stades de traitement des lettres des séquences, et des séquences elles-mêmes, soient déficitaires, induisant un retard dans le traitement. Par ailleurs, Taylor & Keenan ont montré que les enfants dyslexiques mettent plus de temps que les enfants normo-lecteurs à traiter l’information visuelle (Taylor and Keenan, 1990) : il est donc possible que les sujets dyslexiques de notre étude souffrent d’un retard plus que d’un défaut de traitement de l’information.