C.4.b. Variations de l’onde P300 entre les deux groupes de sujets, après présentation du second item d’une paire

Après présentation du second item d’une paire, l’onde P300 est quasi-inexistante chez les sujets dyslexiques, quelles que soient les conditions attentionnelles. Il semble que les sujets dyslexiques subissent systématiquement les effets d’un ‘blink attentionnel’ sur le second item des paires.

Nous avons vu que, chez les sujets dyslexiques, le traitement des séquences de lettres (en première position d’une paire) est déficitaire, et le temps de catégorisation de ces séquences est retardé. De plus, les temps de réaction en condition ‘Release’ – lorsque le sujet répond après présentation du premier item d’une paire – sont significativement plus grands que chez les sujets témoins. On voit sur les figures 6.12 et 6.14 que les réponses des sujets interviennent après l’affichage à l’écran du second item de la paire. Ainsi, le traitement du premier item d’une paire et la prise de décision – de maintenir ou relâcher son attention – sont significativement plus longs chez les sujets dyslexiques par rapport aux sujets témoins, et implique que le second item de la paire est affiché à l’écran alors que ces différentes tâches cognitives ne sont pas achevées. Ceci explique que le second item d’une paire serait mal perçu par les sujets dyslexiques, ce qui provoquerait un effet typique de ‘blink attentionnel’ sur la P300, quelles que soient les conditions de soutien d’attention, d’attention sélective ou de congruence (Raymond et al., 1992; Vogel et al., 1998).

Cette interprétation des résultats de Potentiels Evoqués est concordante avec les résultats comportementaux : si le deuxième item d’une paire n’est pas perçu par les sujets dyslexiques – qui n’ont pas achevé le traitement du premier item au moment de son affichage à l’écran – la décision lexicale est difficilement réalisable sur ces items, induisant des taux d’erreurs très élevés en condition ‘Hold’ (prise de décision et réponse après le second item).

Nous observons tout de même une onde P300 plus ample pour les conditions ‘Hold’ et ‘Release’ chez les dyslexiques que pour la condition ‘Release’ chez les sujets témoins (voir figure 6.14).

Nous avons conclu dans cette même étude réalisée chez les sujets témoins (voir chapitre 5) qu’aucune onde P300 n’était observée après présentation du second item d’une paire, en condition ‘Release’ pour deux raisons majeures : (1) les sujets témoins subissent un ‘blink attentionnel’ sur le second item d’une paire, lorsqu’ils sont en train de donner leur réponse, i.e. en condition ‘Release’ uniquement. (2) De plus, nous supposons que les témoins – se conformant à l’esprit du paradigme – ne traitent pas volontairement le second item d’une paire, lorsque la catégorie du premier item leur a permis de prendre une décision sans avoir à traiter le second item.

Il semble que pour les dyslexiques ces deux facteurs aient des incidences différentes, ce qui induit des tracés de potentiels très différents : (1) l’effet de ‘blink attentionnel’ est subi par les sujets dyslexiques autant dans la condition ‘Hold’ que dans la condition ‘Release’, puisqu’ils sont dans les deux cas encore en train de traiter le premier item quand le second est affiché à l’écran. (2) Nous supposons que les dyslexiques ne peuvent se conformer à l’esprit du paradigme – la tâche étant trop complexe et trop rapide – et qu’ils ont donc tendance à traiter chaque item d’une paire de manière identique, que ce traitement soit nécessaire ou non à la réalisation de la tâche. Ainsi, une onde P300 de faible amplitude est observée chez les sujets dyslexiques – après présentation du second item d’une paire, pour les conditions ‘Hold’ et ‘Release’ – puisqu’ils tentent de traiter volontairement cet item, que ce soit nécessaire ou non.

Enfin, nous pouvons faire une dernière observation concernant l’onde P300 observée après présentation du second item d’une paire : On voit sur la figure 6.11 que cette onde est quasi inexistante chez les sujets dyslexiques par rapport aux sujets contrôles, sauf pour la condition ‘Cible pseudo-mots-Hold’ – lorsque les sujets doivent repérer les paires de pseudo-mots, et que le premier item de la paire était un pseudo-mot, entraînant le sujet à maintenir son attention pour traiter le second item de la paire. S’ajoutent à cette observation deux résultats comportementaux importants : (1) on voit sur la figure 6.12 que les sujets témoins répondent, en condition ‘Release’, plus vite pour les cibles ‘Mots’ que pour les cibles ‘Pseudo-mots’. Le résultat inverse est observé chez les sujets dyslexiques : ils sont plus rapides et font moins d’erreurs (voir les résultats comportementaux sur la figure 6.9) quand ils sont attentifs aux pseudo-mots plutôt qu’aux mots. (2) De plus, en condition ‘Hold’, les sujets dyslexiques font beaucoup moins d’erreurs si les cibles sont les pseudo-mots plutôt que les mots (comparaison des conditions MH et PH sur la figure 6.9).

Ainsi, il semble que le ‘blink attentionnel’ subi par les sujets dyslexiques – induisant une onde P300 très faible après présentation du second item d’une paire – soit moins important lorsque les pseudo-mots sont les cibles. Ceci induit une P300 quasi identique, pour cette condition, entre sujets témoins et dyslexiques, ainsi que des taux d’erreurs plus faibles, chez les dyslexiques, pour cette catégorie cible plutôt que l’autre. Ce ‘blink attentionnel’ réduit pourrait être dû au fait que les sujets dyslexiques traitent plus rapidement les items lorsqu’ils focalisent leur attention sur les pseudo-mots, ce qui induit des réponses plus rapides en contexte ‘cibles Pseudo-mots’ plutôt que ‘cibles Mots’, et donc une meilleure perception du second item d’une paire.