Effets "Top-down" et "Bottom-up" influençant le stade de traitement des traits visuels d’une séquence de lettres.

L’onde P1 reflétant le stade d’extraction des traits visuels d’une séquence de lettres est dépendante de la quantité d’information contenue dans un hémichamp visuel : au-dessus d’un certain seuil de quantité d’information visuelle, une onde P1 est observée, environ 100 ms après stimulation, dans l’hémisphère controlatéral à cette stimulation. Si la quantité d’information ne dépasse pas le seuil – dans le cas particulier de notre étude – de 1.5 lettres, aucune onde P1 n’est produite (elle sera observée avec un certain délai du au transfert d’information d’un hémisphère à l’autre) (voir (Brysbaert, 1994; Brysbaert, 2004)). L’onde électrophysiologique P1 est ainsi fortement dépendante de la position du regard dans la séquence de lettres, indépendamment de tout facteur lexical.

Une étude avec un contrôle plus précis de la quantité de lettres d’un mot projetée dans chaque hémichamp visuel permettrait de définir un seuil plus exact d’information linguistique nécessaire à une activation du cortex strié controlatéral. En effet, notre étude nous permet uniquement de proposer que ce seuil se situe entre 0.5 et 1.5 lettres par hémichamp visuel.

Si la quantité d’information visuelle dépasse le seuil critique, l’extraction des traits visuels de cette information sera réalisée, indépendamment de tout autre facteur : (1) la catégorie des stimuli et leur temps de présentation, (2) la pré-activation du lexique mental, (3) l’attention sélective et (4) le soutien de l’attention n’influent pas sur cette phase de traitement.

(1) Le traitement des traits visuels peut varier si les stimuli sont de catégories visuellement très différentes (mots, visages, images de voitures ; voir (Rossion et al., 2003)) mais demeure indépendant de variations fines au sein d’une même catégorie. Aucune discrimination entre mots, pseudo-mots et non-mots ne peut être réalisée à ce stade de l’analyse, ce qui est en accord avec les données de la littérature (Rossion et al., 2003; Simon et al., 2004). Nous ajoutons à ces données le fait que ce traitement est aussi indépendant du temps de présentation des stimuli linguistiques.

(2) La pré-activation du lexique mental n’influence pas le stade de traitement des traits visuels d’un mot. Ceci confirme le fait que mots, pseudo-mots et non-mots induisent des ondes P1 identiques. De plus, ceci permet d’émettre l’hypothèse que le traitement des traits visuels est achevé lorsque les influences "Top-down" lexicales sont mises en place. La pré-activation du lexique mental ne pourrait donc influencer le traitement des mots dans les 100 premières ms après stimulation.

Différentes études sur l’apprentissage perceptif proposent que la vision répétée d’un même stimulus à une même position procure au système le moyen de reconnaître ensuite rapidement et efficacement les configurations visuelles fréquemment rencontrées (Sigman and Gilbert, 2000). Selon cette théorie, le fait qu’un mot soit mieux reconnu s’il est fixé à gauche de son centre proviendrait du fait qu’il a été le plus souvent vu, au cours de l’apprentissage, dans cette position donnée (Nazir et al., 2004). L’influence lexicale lors de la reconnaissance ultérieure d’un mot proviendrait alors d’une influence de type "Bottom-up" plutôt que "Top-down". Le fait que l’onde P1 soit indépendante des facteurs lexicaux semble privilégier l’idée d’une influence "Top-down". Mais aucune certitude n’existe encore puisque certaines études révèlent l’existence d’effets lexicaux au niveau de l’onde P1 (Sereno et al., 1998).

La réplication de l’expérience utilisant le paradigme de Reicher-Wheeler devrait être testée, à nouveau en Potentiels Evoqués, avec des stimuli présentés horizontalement et verticalement. Si les effets lexicaux sont des effets de type "Top-down", ils ne devraient pas dépendre du format de présentation des stimuli. A l’inverse, si ces effets lexicaux facilitateurs sont de type "Bottom-up", ils seront à l’œuvre pour des stimuli présentés de manière standard mais ne seront pas observés si les stimuli sont affichés à l’écran verticalement.

(3) Les données de la littérature révèlent que la P1 peut être influencée par des effets "Top-down" attentionnels pour des stimuli simples, tels que des objets, des visages et des photos d’animaux (Taylor, 2002). D’après nos résultats, il semble qu’elle ne le soit pas quand les stimuli sont des séquences linguistiques très proches orthographiquement.

La reproduction de l’étude sur les effets "Top-down" attentionnels, dont les stimuli seraient des mots et des non-mots, permettrait d’affiner ce résultat : nous faisons l’hypothèse que les effets attentionnels influent sur l’onde P1 uniquement lorsque les catégories mises en jeu dans l’expérience sont facilement discriminables. Ainsi, les mots et pseudo-mots étant très proches orthographiquement, aucun effet attentionnel ne module l’évènement P1 lors de leur traitement. Il est probable que ce même évènement serait modulé par l’attention si les stimuli utilisés dans la même expérience étaient des mots et des non-mots.

(4) En plus d’être indépendant d’un certain nombre de facteurs "Bottom-up" et "Top-down", le traitement des traits visuels d’une séquence de lettres est parfaitement automatisé, puisqu’il ne dépend pas du soutien de l’attention du sujet au cours de la tâche.