Effets "Top-down" et "Bottom-up" influençant le stade de traitement des séquences de lettres.

L’étude des effets "Top-down" lexicaux nous a permis de mettre en évidence des influences significatives du temps de présentation des stimuli et du lexique mental sur le stade de traitement des séquences de lettres. Les contraintes expérimentales de l’étude sur les effets "Top-down" attentionnels ne nous permettent pas de définir les influences du soutien d’attention et de l’attention sélective sur ce stade de traitement : en effet, la négativité temporo-pariétale gauche – visible entre 180 et 250 ms après stimulation (Pammer et al., 2004; Proverbio et al., 2002a; Salmelin et al., 1996; Tarkiainen et al., 1999) – n’est pas observée sur les tracés de potentiels obtenus dans cette étude (voir la figure 3 du chapitre 5). Il est probable que cette onde négative, spécifique au traitement des mots, soit confondue dans le ‘bruit’ de l’enregistrement, ou masquée par un autre évènement électrophysiologique.

Le fait que le lexique mental influence le stade de traitement des séquences de lettres est un résultat attendu, tout à fait congruent avec les différents modèles interactifs de la reconnaissance visuelle de mots isolés (McClelland and Rumelhart, 1981; Paap et al., 1982). Ce qui est plus étonnant est le fait même que l’on observe un évènement reflétant le traitement des mots, alors que les sujets avaient pour consigne de ne pas lire les mots mais uniquement de reconnaître une de leurs 5 lettres. Le débriefing de l’expérience confirme ce résultat puisque la majorité des sujets révélaient à la fin de l’expérience qu’ils avaient lu les mots ‘involontairement’.

Ce résultat illustre parfaitement l’automaticité de la lecture. De nombreuses situations écologiques ainsi que de nombreuses études de psychologie expérimentale (effet Stroop par exemple ; voir entre autre (Brown et al., 2002)) révèlent que la lecture, une fois acquise par un lecteur expert, devient totalement automatique. Même si un sujet n’est pas sensé reconnaître ou lire un mot, il est difficile d’éviter tout traitement du stimulus  (MacLeod, 1991; Price et al., 1996b).

Cette ‘automaticité’ de la lecture est telle qu’un lecteur expert est capable de lire un mot présenté brièvement et masqué, sans pouvoir rapporter sa casse ou sa police (Adams, 1979). Cette observation est confirmée par l’étude de cas d’un patient capable d’extraire une information verbale sans attention focalisée sur l’information visuelle (dissociation entre l’habilité à lire des lettres et à en percevoir la forme) (Suzuki and Yamadori, 2000).

Nous avons démontré jusque là que les stades de traitement des traits visuels et des lettres d’un mot sont automatiques, bien que dépendants de différents facteurs "Bottom-up" et "Top-down". De plus, le traitement des mots dans l’hémisphère cérébral gauche est réalisé même si la tâche ne nécessite pas explicitement un tel traitement. Il semble donc que les trois phases de traitement des séquences de lettres – décrites dans le modèle IAM – soient sollicitées pour toute présentation visuelle d’un stimulus linguistique, quelles que soient les conditions expérimentales et les demandes de la tâche.

Le paradigme utilisé pour étudier les effets "Top-down" attentionnels semble être un très bon outil pour tester l’automaticité des différents stades de traitement des séquences de lettres. Les conditions expérimentales dans lesquelles nous l’avons utilisé ne nous permettent pas d’étudier l’onde négative latéralisée à gauche (N Left ), et nous ne pouvons donc pas analyser l’automaticité de la phase de traitement des séquences de lettres et les facteurs attentionnels l’influençant. Une nouvelle étude – basée sur le même paradigme – pourrait permettre d’étudier ces phénomènes, en utilisant des mots et non-mots comme stimuli, et un délai plus grand entre deux items d’une même paire. En effet, nous supposons que les différences de traitement entre mots et non-mots entraîneront des variations électrophysiologiques plus importantes qu’entre mots et pseudo-mots, et que l’augmentation du délai permettra de moins ‘bousculer’ les phases de traitement, et donc de pouvoir mieux délimiter et analyser la N Left . Cette nouvelle étude permettrait d’étudier les effets attentionnels ayant une incidence sur le stade de traitement des séquences de lettres, et de juger de l’automaticité de ce processus.

Nous émettons l’hypothèse qu’un effet significatif de l’attention sélective sera observé sur l’onde N Left , puisque cette attention sélective induira une pré-activation du lexique mental pour la catégorie cible ‘Mot’, pas pour la catégorie ‘Non-mot’. De plus, au vu des résultats de l’étude sur les effets "Top-down" lexicaux, le traitement des séquences de lettres semble être automatique. Nous devrions donc observer une onde N Left avec ou sans soutien d’attention.