Traitement de séquences de lettres et effets "Top-down" et "Bottom-up" influençant ce traitement, chez des adultes dyslexiques.

Les deux études testant les effets "Top-down" lexicaux et attentionnels chez les sujets dyslexiques (voir chapitre 6) nous ont permis de mettre en évidence un certain nombre de déficits chez ces patients souffrant de troubles de la lecture :

Les sujets dyslexiques ne diffèrent pas des sujets normo-lecteurs pour ce qui est de la phase de traitement des traits visuels et des différents effets "Top-down" et "Bottom-up" influençant cette phase.

A l’inverse, les phases de traitement des lettres et des séquences de lettres sont déficitaires chez ces mêmes sujets.

Le temps de catégorisation et la charge attentionnelle allouée à cette catégorisation ne diffèrent pas entre sujets témoins et dyslexiques lorsqu’ils ont à discriminer des mots et des non-mots. Par contre, cette catégorisation est déficiente chez les sujets dyslexiques pour une discrimination entre mots et pseudo-mots. Les sujets dyslexiques semblent souffrir d’un déficit de traitement des mots, ce qui entraîne d’importantes difficultés à définir si un pseudo-mot – proche orthographiquement d’un mot – est un mot réel de la langue ou non. Par contre, bien que le traitement des mots soit déficitaire chez ces patients, ils n’ont pas de difficulté majeure pour décider que la séquence ‘XDQMP’, par exemple, n’est pas un mot de la langue française.

Les effets de type "Bottom-up" de temps de présentation et de position de regard sont identiques pour les deux groupes de sujets : les différents effets facilitateurs d’un temps de présentation augmenté sont observés chez les dyslexiques autant que chez les sujets contrôles. De plus, le masquage latéral des lettres centrales d’une séquence, ainsi que le transfert interhémisphérique d’information pour les positions de regard extrêmes semblent être identiques chez les sujets témoins et dyslexiques.

Les effets "Top-down" lexicaux sur les stades de traitement des lettres et des séquences de lettres sont déficitaires chez les sujets dyslexiques. Nous ne pouvons définir si cette déficience est due (1) à un stockage d’information dans le lexique mental défectueux ; (2) à un déficit du ‘retour’ de l’information stockée, au moment du traitement d’un mot précédemment encodé ; (3) ou directement au déficit des phases de traitement des lettres et des séquences de lettres.

Les deux observations précédentes nous permettent d’affiner l’hypothèse faite sur les effets directs ou indirects du TP : les effets significatifs du TP sur la charge attentionnelle et le temps de catégorisation – observés chez les sujets témoins – ne sont pas uniquement conséquents à l’effet de ce même TP sur le lexique mental. En effet, les influences "Top-down" du lexique mental sont déficitaires chez les sujets dyslexiques alors que les influences "Bottom-up" du TP sont identiques à celles des sujets témoins. Ces influences "Bottom-up" semblent donc être directes, et non pas résulter d’une influence lexicale indirecte.

Enfin, les sujets dyslexiques testés dans nos deux études ne semblent pas souffrir de troubles de l’attention sélective. Par contre, les effets de congruence entre la catégorie cible et le stimulus sont déficitaires. Cette observation est probablement une conséquence directe du déficit dans la phase de traitement des séquences de lettres – puisque l’attention sélective semble épargnée. Un défaut de traitement des séquences de lettres ne permettrait pas aux sujets dyslexiques d’évaluer la congruence de ces séquences de lettres avec une catégorie linguistique définie.

Nous avons vu dans l’introduction de ce manuscrit que les patients dyslexiques semblent souffrir d’un déficit global d’automatisation des processus cognitifs et de fonctionnement de la mémoire de travail (Demonet et al., 2004; Ramus et al., 2003) (voir le paragraphe D.5.g du chapitre 1). Ce travail est en accord avec cette hypothèse puisque nous avons mis en évidence des déficits significatifs, chez les sujets dyslexiques, dans la réalisation des différentes étapes de traitement des séquences de lettres. Les stades de traitement des lettres et des séquences de lettres semblent ne pas être automatisés chez les sujets dyslexiques comme ils le sont chez les sujets normo-lecteurs. Par ailleurs, l’étude des effets "Top-down" attentionnels révèle que les sujets dyslexiques souffrent de troubles importants de la mémoire de travail.

Mais le trouble dyslexique ne peut s’expliquer uniquement par un déficit de stockage en mémoire de travail, puisque les patients testés dans nos études diffèrent significativement des sujets contrôles dans une tâche qui s’affranchit de tout effet de la mémoire de travail (tâche de discrimination à choix alternatif forcé). Nous proposons donc qu’aux déficits d’automatisation des processus cognitifs et de stockage en mémoire de travail soit ajouté un facteur non négligeable qui est le trouble de stockage ou de récupération d’information dans le lexique mental.

Cette dernière hypothèse est en accord avec les prédictions faites sur le syndrôme dyslexique, à partir du modèle multi-traces de Ans et al. (Ans et al., 1998) (voir le paragraphe C.3.c du chapitre 1 pour la description de ce modèle). Si l’on se base sur ce modèle de lecture, un déficit visuo-attentionnel pourrait induire une dyslexie de surface, puisqu’une réduction de la fenêtre visuo-attentionnelle entraînerait un déficit de stockage de mots dans le lexique mental (Valdois et al., 2004).