1.1. Quels troubles cognitifs chez le schizophrène ?

Les déficits cognitifs observés chez les schizophrènes sont depuis longtemps considérés comme un trait fondamental de la pathologie. Bleuler (1911) et Kraepelin (1919) avaient déjà décrit la maladie en pensant qu’elle était en partie due à des déficits cognitifs et attentionnels, eux-mêmes engendrés par un dysfonctionnement du lobe frontal. Dans les années 1950, l’apparition des traitements neuroleptiques (la chlorpromazine et ses successeurs) améliorant les symptômes positifs, a détourné beaucoup de chercheurs de l'exploration des déficits cognitifs. Mais la constatation que la chlorpromazine pouvait également atténuer les déficits cognitifs et que ceux-ci sont fortement corrélés à l’apparition de la schizophrénie a relancé l’intérêt consacré à l'étude du rôle de la cognition dans cette pathologie.

Depuis quelques années, des preuves se sont accumulées permettant d’associer la schizophrénie à des troubles du fonctionnement cognitif (pour une revue : Frith, 1992 ; Goldberg et al., 1987 ; Gray, Rawlins, Hemsley, & Smith, 1991 ; Heinrichs & Zakzanis, 1998). La maladie est associée à un éventail de déficits cognitifs comprenant l'attention, la mémoire et les fonctions exécutives auquel s'ajoute un déclin global du fonctionnement intellectuel (Taylor & Abrams, 1984). Globalement, on estime que 73% des patients schizophrènes ont un affaiblissement dans au moins deux domaines neuropsychologiques (Palmer et al., 1997). De plus, ces déficits cognitifs sont observés à la fois chez les patients entrant dans la schizophrénie et chez les patients chroniques, aucune différence n’étant observée entre des patients recevant un traitement médicamenteux et des patients non traités. On peut donc en conclure que ces déficits ne sont pas secondaires à la maladie (Daban et al, 2005). Kelly, Sharkey, Morrison, Allardyce et McCreadie (2000) ont d'ailleurs montré, sur un échantillon de 138 schizophrènes, que 81% des patients présentaient des déficits mnésiques, 49% étaient atteints dans des tests de fluence verbale, 25% avaient des problèmes dans le contrôle exécutif et enfin 15% montraient un déficit cognitif global. La méta-analyse de Heinrichs et Zakzanis (1998), fait apparaître que de nombreuses fonctions cognitives sont atteintes chez les schizophrènes, les effets les plus importants étant de nature mnémonique (Tableau 2).

Les résultats de Daban et al. (2005) montrent que la plupart des déficits cognitifs observés dans la schizophrénie persistent en dépit d'efficaces antipsychotiques (atypiques ou conventionnels) qui leur sont administrés. L'influence positive du traitement sur la symptomatologie et l'absence d'effet sur les performances cognitives suggère que les déficits cognitifs sont partiellement indépendants des symptômes psychotiques dans la schizophrénie.Même après une amélioration clinique substantielle, les patients schizophrènes présentent des performances cognitives inférieures à la normale (Papageorgiou et al., 2003). On ne peut donc pas éliminer l'interprétation selon laquelle le médicament agit moins rapidement sur la cognition que sur des symptômes psychotiques. Cette « latence » différentielle renforcerait néanmoins l'hypothèse selon laquelle les déficits cognitifs seraient des symptômes schizophréniques intrinsèques et ne seraient pas liés secondairement aux symptômes psychiatriques ou, tout au moins, à ceux sur lesquels les antipsychotiques exercent un effet thérapeutique (symptômes positifs, anxiété, etc.). Il est intéressant de noter que Daban et al (2003) avait déjà rapporté qu’une atteinte de la vigilance et de la mémoire de travail était corrélée, chez les patients schizophrènes, avec la dimension de désorganisation qui est, en partie, sensible aux antipsychotiques. En définitive, des déficits attentionnels, de la mémoire de travail et des fonctions exécutives sont présents chez les patients non traités et ces atteintes ne sont pas différentes de celles observées chez les patients recevant des antipsychotiques.

Tableau 2. Méta-analyse de différentes études comparant les performances de patients schizophrènes et de participants contrôles à l'égard de diverses fonctions cognitives (adapté de Heinrichs et Zakzanis, 1998, p 430)
Tableau 2. Méta-analyse de différentes études comparant les performances de patients schizophrènes et de participants contrôles à l'égard de diverses fonctions cognitives (adapté de Heinrichs et Zakzanis, 1998, p 430)