2.3. Les processus de récupération

Le déficit mnésique des schizophrènes pourrait aussi avoir pour origine, non pas un trouble des processus d'encodage, mais une perturbation des processus de récupération de l'information (« retrieval »). En effet, la méthodologie des niveaux de profondeur de traitement à l'encodage n'isole l'encodage que de façon apparente puisque ce sont les réponses des sujets en rappel ou en reconnaissance qui en sont l'indicateur. Il est donc important de prendre en compte ce problème méthodologique et de vérifier que le trouble des patients schizophrènes ne résulte pas d'un dysfonctionnement au niveau de la récupération de l’information plutôt que d'un trouble de son codage ou de son stockage.

Les effets du contexte sont majeurs dans la récupération d’informations en mémoire à long terme. Tulving (1976) a été le premier à attirer l’attention sur ce phénomène et a introduit la notion d’encodage spécifique : le succès de la récupération dépend de la proximité entre le contexte d’encodage et le contexte de rappel. Cela vaut aussi pour le rappel mais aussi pour la reconnaissance. De nombreux travaux en psychologie cognitive ont montré que l’encodage et la récupération du contexte sont essentiels au fonctionnement normal de la mémoire (Tiberghien, 1987). Le contexte permet de donner à l’information-cible un caractère distinctif et peut servir ultérieurement d’indice de récupération.

Une des méthodes classiques d'étude des processus de récupération a consisté à faire varier la compatibilité entre les conditions d'étude et celles de la récupération lors du test de reconnaissance (Tulving & Thomson, 1973). Chez les adultes sains, on observe que la modification du contexte entre l'étude et la reconnaissance se traduit, de façon quasi systématique, par une détérioration significative de la performance mnésique (principe dit de la « spécificité de l'encodage »). Il pose que la récupération d’information en mémoire nécessite la réactivation du contexte d’encodage. La diminution des performances après modification contextuelle a été fréquemment observée dans la mémoire verbale (Baddeley, 1982 ; Humphreys, Pike, Bain, & Tehan, 1989 ; Tulving, 1968, 1976), la mémoire de scènes (Palmer, 1975), la mémoire des visages non familiers (Bruce, 1982 ; Tiberghien, 1989). Les modifications contextuelles peuvent en effet intervenir sur de nombreux paramètres comme les vêtements de la personne (Brutsche et al., 1981), l’arrière-plan sur lequel est présenté le visage (Davies & Thomson, 1988 ; Klee, Leseaux, Malai, & Tiberghien, 1982 ; Péris & Tiberghien, 1984), les phrases reliant les visages à des caractéristiques de la personne (Baddeley & Woodhead, 1982), le point de vue, la diminution de la luminance, la présentation du visage à l’envers ou en négatif (Hancock, Bruce, & Burton, 2000 ; Liu & Chaudhuri, 2000).

Le terme de contexte peut prendre des significations différentes et le contexte évoqué ici est un contexte de type perceptif, visuel. Hewitt (1977) distingue deux types de contexte, le contexte « intrinsèque » et le contexte « extrinsèque ». Cette distinction porte sur la relation entre l’information contextuelle et la cible à reconnaître au moment de l’encodage. Le contexte intrinsèque est défini comme une forme d’interaction perceptive globale et automatique entre la cible et tout ce qui est nécessairement encodé avec elle (le contexte sémantique, la forme des lettres ou la voix qui prononce un mot, l’expression d’un visage par exemple). Il est opposé au contexte extrinsèque défini comme une association entre la cible et les éléments de l’environnement dans lequel s’insère l’encodage. Il fait référence aux aspects environnementaux indépendants de la cible mais visuellement associés à l’item, de manière plus ou moins arbitraire, c’est-à-dire tout ce qui entoure le stimulus sans lui être intégré (arrière-plan, les vêtements que porte la personne…). De la même manière Baddeley (1982) distingue deux types de contexte, un contexte « interactif » et un contexte « indépendant ». Cette fois, la distinction porte sur le traitement que fait le sujet au moment de la récupération. Un contexte est dit « interactif » quand il affecte le sens ou l’interprétation de la cible lors de la récupération et que le sujet est obligé de le traiter et il est dit « indépendant » quand il n’interfère pas avec le sens ou l'interprétation de la cible et que le sujet n’est pas obligé de le traiter. Le contexte interactif détermine la façon dont le stimulus est perçu et traité alors que le contexte indépendant est stocké en même temps que la trace du stimulus cible mais ne modifie pas cette trace (Baddeley, 1982 ; Baddeley & Woodhead, 1982 ; Godden & Baddeley, 1980)

Les patients schizophrènes sont sensibles, de la même manière que les participants contrôles, aux changements de contexte en mémoire verbale (Bazin, Perruchet, Hardy-Bayle, & Féline, 2000). Le déficit du traitement de l’information contextuelle dans la schizophrénie dépend en partie du type de contexte mis en jeu au moment de l’encodage et de la récupération d’information ; ainsi les performances seront différentes selon qu’il s’agit d’un contexte indépendant ou interactif (Cohen & Servan-Schreiber, 1992). Bazin et al. (2000) ont proposé une tâche de complètement de phrases à des patients schizophrènes et à des sujets contrôles ; chaque phrase cible comprenait un mot ambigu auquel les sujets devaient attribuer un sens spécifique pour le complément. Chaque phrase cible était précédée par une autre phrase contexte, amorçant le sens non dominant du mot ambigu. Les résultats ont mis en évidence que les patients schizophrènes utilisaient plus fréquemment la signification dominante du mot ambigu que les sujets contrôles, ce qui suggère un déficit spécifique du traitement du contexte. De plus les patients schizophrènes présentent des déficits en reconnaissance de source (contexte extrinsèque et interactif) (Brébion, Gorman, Amador, Malaspina, & Sharif, 2002 ; Moritz, Woodward, & Ruff, 2003 ; Nieznanski, 2002 ; Vinogradov et al., 1997 ; Waters, Maybery, Badcock, & Michie, 2004), des déficits dans la reconnaissance d’association d’items (contexte extrinsèque et indépendant) (Achim & Lepage, 2003 ; Brébion et al., 2002 ; Rizzo, Danion, Van der Linden, & Grangé, 1996 ; Tendolkar, Ruhrmann, Brockhaus, Pukrop, & Klosterkrotter, 2002) et des déficits du contexte temporel (Rizzo et al., 1996).