3.1. Les modèles de la reconnaissance

Deux grandes familles de théories sont donc en compétition pour expliquer la reconnaissance épisodique :

Les théories unitaires postulent qu’il n’y a qu’un seul processus mnésique en jeu dans la reconnaissance, la familiarité.

L'hypothèse selon laquelle la reconnaissance ne nécessite aucune recherche mnésique a d'abord été défendue explicitement par Deese en 1963 (pour une revue historique : Tiberghien & Lecocq, 1983, p105). La reconnaissance n'impliquerait qu'une simple activité de discrimination. Mais c'est Kintsch (1970) qui a systématiquement développé cette hypothèse d'une reconnaissance sans recherche. Pour lui, le rappel peut être décomposé en trois activités fondamentales : une activité de recherche de l'information stockée, une reconnaissance mentale suivie par un processus de décision. Dans la reconnaissance, Kintsch considère que le mécanisme de recherche mnésique est superflu puisque l'information à reconnaître est toujours perceptivement disponible. Les théories les plus populaires de la reconnaissance supposent qu'elle ne fait intervenir qu'une simple estimation de la familiarité du stimulus à reconnaître (Gillund & Shiffrin, 1984 ; Murdock, 1982).

Figure 2 : Classification des modèles de la reconnaissance épisodique (Tiberghien, non publié)
‘Les théories dualistes de la reconnaissance mettent en jeu deux processus mnésiques, la familiarité et la récollection.’

L'hypothèse selon laquelle les performances obtenues lors de la reconnaissance seraient basées sur deux processus différents remonte à une trentaine d'années. Atkinson et Juola (1973 ; 1974) ont proposé la théorie de la reconnaissance à deux processus (dual-process theory) dans laquelle deux processus sont impliqués : un processus pré-décisionnel basé uniquement sur la familiarité de l'item cible et un processus de recherche (retrieval-check ou conditional search) qui est uniquement mobilisé si le résultat de la pré-décision n'est pas suffisamment fiable (Mandler, 1980 ; Tiberghien, Cauzinille, & Mathieu, 1979).

La théorie de la reconnaissance à deux processus postule donc que deux mécanismes fonctionnellement indépendants, et qualitativement différents, contribuent à la reconnaissance. Un de ces mécanismes, la récollection (R), permet la récupération consciente d’items étudiés en mémoire épisodique. Le deuxième mécanisme, la familiarité (F), permet leur récupération sur la seule base du sentiment de déjà-vu (Jacoby, 1991 ; Jacoby & Dallas, 1981). Mandler (1981) a été le premier à émettre l'hypothèse selon laquelle la probabilité de reconnaissance « implique les effets additifs de la familiarité et de la recherche dirigée en mémoire » (p.243). Il définit la familiarité comme une mesure rapide et globale de la ressemblance permettant l'accès à la structure de surface de la cible. En revanche, la récollection consciente est définie comme un processus lent appliqué à l'item et permettant l'élaboration de l'information stockée (ce processus est davantage contrôlé au niveau attentionnel). La familiarité produit un sentiment de ressemblance qui n'est pas accompagné par un souvenir explicite d'avoir étudié l'item dans un contexte particulier. La récollection, elle, produit un souvenir explicite de l'item étudié et de son contexte. Mandler (1981) postule que la familiarité trouve son origine dans un mécanisme d'apprentissage qui implique le stockage d'informations sensorielles et perceptives, alors que la récollection trouve son origine dans un mécanisme d'apprentissage qui implique le stockage d'informations sémantiques élaborées. De même, Atkinson, Hermann et Wescourt (1974) avaient décrit ces deux bases de la reconnaissance comme étant fondées, respectivement, sur des codes perceptifs et des codes conceptuels (Jacoby, 1991 ; Jacoby & Dallas, 1981). Jaboby (1991) a développé une procédure expérimentale ingénieuse afin d'estimer les contributions de la récollection et de la familiarité, la procédure de dissociation des processus (PDP). Cette théorie semble la plus adaptée pour expliquer la reconnaissance des visages et des personnes. Elle a d’ailleurs l’avantage de dissocier deux types d’expériences phénoménologiques évidentes en reconnaissances des visages : le sentiment de familiarité du visage qui peut être décrit comme étant stochastiquement indépendant de la capacité à retrouver le contexte spatio-temporel d’une rencontre antérieure de la personne correspondante. Le modèle de Yonelinas (Yonelinas, 1994) fait le lien entre les modèles issus des deux courants de pensée. Il postule que la récollection peut être décrite comme un processus à seuil alors que la familiarité est décrite comme un processus de détection du signal (Figure 2).