3.3. Un modèle à deux processus mnésiques : Le modèle dualiste

La PDP (Process Dissociation Procedure) est une situation expérimentale permettant d'évaluer les hypothèses à la base des théories de la reconnaissance à deux processus. C'est pour tenter de dissocier dans la reconnaissance, le processus de récollection du processus de familiarité que Jacoby (1991) a imaginé la procédure de dissociation de processus (PDP). L’utilisation de la PDP requiert deux conditions tests, une dans laquelle la familiarité (F) et la récollection (R) opèrent de concert (inclusion) et l’autre dans laquelle les deux processus opèrent en opposition (exclusion). L’expérience classique est la suivante : les sujets étudient deux listes de mots, la liste 1 et la liste 2. En inclusion, les sujets sont invités à reconnaître, parmi des mots nouveaux, tous les mots étudiés, indépendamment de leur liste d’appartenance. Dans ces conditions, un item de la liste 1 peut-être reconnu sur la base de R ou de F ou des deux. Si l'on postule l’indépendance stochastique entre R et F, la probabilité qu’un item de la liste 1 soit reconnu comme « ancien » est : P(oui / inclusion) = R + F(1-R). En exclusion, les sujets ne doivent reconnaître que les mots appartenant à la liste 1. Dans ces conditions, un item de la liste 2 ne sera reconnu faussement que si le contexte de liste n'est pas retrouvé par R et par conséquent s'il est reconnu sur la seule base de sa familiarité : P(oui / exclusion) = F(1-R). R est estimé en soustrayant la proportion de réponses « oui » aux items de la liste 2 en exclusion de celle obtenue en inclusion. On aura en définitive :

R= Inclusion-Exclusion (1)

F= Exclusion/1-R (2)

Si la récollection et la familiarité sont deux sous-processus distincts de la reconnaissance, des manipulations expérimentales peuvent affecter R et F ou n'affecter que l'un ou l'autre des deux sous-processus (Yonelinas & Jacoby, 1996a). De telles dissociations ont été rapportées dans de nombreuses études. R est modifiée par la longueur de liste (Yonelinas, 1994) alors que F ne l'est pas ; il en est de même lors d'une expérience en attention non-divisée versus divisée lors de l'apprentissage (Jacoby, 1996) et lors du test (Gruppuso, Lindsay, & Kelley, 1997) et, aussi, en fonction de la longueur des mots mémorisés (Yonelinas, Regehr, & Jacoby, 1995). F et R sont, par ailleurs, affectés différemment en fonction de la similarité des items des deux listes.

La principale critique adressée à ce modèle concerne l'hypothèse selon laquelle la familiarité et la récollection contribuent indépendamment à la performance (Hintzman & Curran, 1997). Les arguments développés par les contradicteurs ont été contestés par Jacoby et ses collaborateurs (Jacoby, Begg, & Toth, 1997 ; Jacoby & Shrout, 1997). Joordens et Merikle (1993) furent les premiers à voir dans le modèle de redondance une alternative possible au modèle d'indépendance choisi par Jacoby et ses collaborateurs. La relation de redondance entre les processus implique que tous les items reconnus sur la base de R le sont aussi sur la base de F alors que certains items ne sont reconnus que sur la base de F. En revanche, le modèle d'indépendance implique qu'il peut y avoir (a) des items reconnus sur la base de la seule récollection (R), (b) des items reconnus sur la base de la seule familiarité (F), (c) des items reconnus à la fois sur la base de la récollection et de la familiarité (R et F). Par conséquent, la différence fondamentale entre le postulat d'indépendance et le postulat de redondance est que, pour ce dernier, la récollection ne peut exister isolément puisqu'elle est toujours accompagnée par la familiarité. D'après le modèle de redondance, la proportion d'items reconnus à la fois par récollection par la familiarité (R + F) est égale à la proportion d'items reconnus sur la base de la seule récollection (R). Cette implication est la conséquence du fait qu'une influence sur la récollection est toujours accompagnée d'une influence sur la familiarité qui lui est attachée. Étant donné cette implication du modèle de redondance, il est possible de remplacer par R les termes (F + R) dans les équations 1 et 2, ce qui donne, après simplification :

R = Inclusion-Exclusion

F = Inclusion

Adopter un postulat d'exclusivité pourrait être une autre possibilité. L'exclusivité signifie qu'un ancien item ne peut à la fois être familier et récollecté (R + F = 0). Dans, ces conditions, la performance au test d'inclusion renvoie à la fois aux influences R et F (R + F), alors que la performance au test d'exclusion fournit une estimation de l'influence de F seule. Étant donnée cette implication du modèle d'exclusivité, il est possible de remplacer les termes (F + R) par 0 dans les équations 1 et 2, ce qui donne :

R = Inclusion-Exclusion

F = Exclusion

Les conclusions à propos des effets sur la familiarité, résultant de la manipulation des variables expérimentales, varient radicalement selon que l'on défend une relation d'indépendance (stochastique), de redondance ou d'exclusivité (indépendance stricte). L'idée d'indépendance fonctionnelle continue cependant à être la plus défendue (Jacoby, Begg, & Toth, 1997 ; Yonelinas & Jacoby, 1996a). Selon ces auteurs, elle reste plus en accord avec les résultats obtenus chez des patients ayant des déficits neurologiques et ceux obtenus en imagerie montrant que la familiarité et la récollection sont issues de régions partiellement distinctes (Yonelinas, 2002). Toutefois la relation entre familiarité et récollection suscite encore de nombreux débats et n'est pas encore résolue.