b. L’hypothèse d’un déficit de la voie dorsale

On peut également tenter d'interpréter nos résultats en les mettant en relation avec les modèles de reconnaissance de visages et les délires d’identification des personnes (delusional misidentification). Il existe plusieurs types de troubles délirants d’identification et le plus connu est le syndrome de Capgras. Ce syndrome est classiquement associé à la paranoïa schizophrénique. C'est un type de délire (Delusional Misidentification Syndrome ou DMS) caractérisé par la dénégation de l'identification correcte d'une personne – celle-ci n'étant plus ce qu'elle est (elle est remplacée par un double, un sosie, un robot, etc.) (Weinstein, 1994). Les patients reconnaissent un visage connu, mais ils n’ont plus le sentiment de familiarité qui accompagne cette reconnaissance. La personne qu’ils voient ressemble effectivement à une personne connue mais ils ne « connaissent » pas cette personne. Ils en infèrent donc que cette personne est un imposteur et qu’il s’agit d’un sosie. Dans ce cas, la reconnaissance explicite (overt) de la personne semble intacte, mais sa reconnaissance implicite (covert) est perturbée. D'ailleurs les Capgras ne manifestent pas de réponse électrodermale (RED) lorsqu'on leur présente des visages familiers, ce qui est un indicateur assez direct de l'absence de réponse implicite (Ellis & Lewis, 2001). Bauer (1984) a décrit un modèle de reconnaissance des visages, repris ultérieurement, entre autres par Ellis & Young (1990). Ce modèle suggère qu’il existe deux voies permettant la reconnaissance des visages. Il fait référence aux deux voies neuroanatomiques de reconnaissance visuelle décrite par Ungerleider & Mishkin en 1982, la voie ventrale et la voie dorsale. Dans ce contexte, la voie ventrale serait responsable de l’identification des visages et la voie dorsale du caractère familier et de la signification (en particulier émotionnelle) du visage. On peut alors considérer que la reconnaissance basée sur un mode explicite peut, dans ces conditions, être associée au processus de récollection consciente (impliquant la voie ventrale : cortex visuel  sulcus temporal inférieur (STI)  système limbique et la reconnaissance basée sur un mode implicite peut être associée au sentiment de familiarité non conscient (impliquant la voie dorsale : cortex visuel  sulcus temporal supérieur (STS)  lobe inféro-pariétal  gyrus cingulaire  système limbique (Bauer, 1984 ; Breen, Caine, & Colheart, 2000). L'échec à éprouver ou à utiliser correctement la familiarité pourrait donc être imputé à un dysfonctionnement de la voie dorsale qui entraînerait un recours systématique à la récollection dans les situations habituelles de reconnaissance ; un sentiment de familiarité ambigu ou indécidable conduirait alors à rechercher en mémoire, de façon obsessionnelle, des différences ténues permettant d'affirmer que la personne n'est pas ce qu'elle paraît être. Une telle interprétation présuppose, bien sûr, que la reconnaissance implicite, à la base de la familiarité, possède à la fois une composante affective et une composante cognitive, ce qui est tout à fait plausible (Ellis & Lewis, 2001). Les sentiments de dépersonnalisation et de déréalisation, souvent observés dans le délire d’identification de personnes, vont d'ailleurs dans ce sens et sont interprétés cliniquement comme une perte du sentiment de familiarité ou de réalité d'une expérience perceptive ou mnémonique antérieure (Weinstein, 1994).