Perspectives

Tout d’abord, nous avons commencé à montrer que ces langages se prêtent bien à la paramétrisation d’un signal ce qui laisse entrevoir des possibilités d’analyser de manière détaillée le rythme de la parole tout en permettant un parallèle avec les langages tambourinés qui soulignent de manière inharmonique ce même aspect. Les particularités du signal sifflé permettent l’usage des techniques et des logiciels d’analyse sonore développés en bioacoustique pour étudier les sifflement des animaux (oiseaux et dauphins principalement). Dès lors, une comparaison est également possible avec les productions sifflées animales ce qui permet de mieux cerner l’idiosyncrasie du sifflement humain (Busnel, 1966 ; Meyer, 2004). De plus, comme les langues sifflées ont un lien étroit avec le mileu naturel et réalisent une optimisation bioacoustique du signal, elles permettent de confronter la parole humaine à l’ « hypothèse de l’adaptation acoustique » qui dit que la structure générale d’un signal de communication animal sera différente suivant les milieux d’habitat ou les niches écologiques (Mathevon et al, 2004).

Ces formes des langues peuvent également servir actuellement d’indicateur humain fiable pour évaluer la vitalité d’un biotope et donc à la fois de la biodiversité et des connaissances traditionnelles des populations locales qui sont aujourd’hui essentielles si l’on veut comprendre ces milieux à protéger pour les générations à venir (Nettle et Romaine, 2003). L’approche que nous avons initiée sur l’oreille humaine, sur la dégradation de la parole sifflée béarnaise, sur le transfert de la technique à une nouvelle langue, sur l’analyse des profils sociolinguistiques de siffleurs et sur la comparaison typologique des langues sont autant de points qui peuvent participer à une réflexion sur l’évolution du langage humain, avec bien souvent des enseignements pour la phonétique (Demolin et Hombert, 1999). Nos données pourraient donc être complétées et analysées dans une perspective d’anthropologie cognitive. Ce développement semble souhaitable car les langues sifflées se sont développées dans des situations d’usages motivées par la survie d’un petit groupe d’individus, parfois dans des conditions très proches de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. A ce propos les langues sifflées ont le mérite de souligner le rôle fondamental que la contrainte du bruit ambiant a assurément joué dès l’origine du développment du langage humain.

De plus, la langue sifflée est un style de parole faisant partie intégrante du phénomène linguistique d’une langue locale. Dans ce cadre, les résultats d’une première étude de neurosciences utilisant la technique de résonance magnétique fonctionnelle (Carreiras & al 2005) ne sont pas étonnants. Ils ont montré que les aires neurologiques de la production (Broca) et de la perception (Wernicke) du langage sont activées chez des siffleurs entraînés, mais pas chez des sujets témoins, lors de l’écoute de phrases de Silbo : « Our results show that the temporal regions of the left hemisphere that are usually associated with spoken-language functions are engaged during the processing of Silbo in experienced Silbadores.»(Carreiras et al, 2005, p.31). Cela confirme l’intérêt de notre souci de toujours relier une langue sifflée à la voix parlée d’origine. Nos résultats suggèrent d’envisager une interprétation des données de cette équipe de recherche en comparaison avec celles d’études sur les bases neurales de l’écoute de la parole dans le bruit (Wong P. C.M. et al, 2005).

Enfin, dans le cas des langues sifflées comme dans la voix parlée, de nombreux éléments paralinguistiques sont liés à l’intelligibilité de la parole et relèvent aussi de la reconnaissance de formes auditives (reconnaissance du locuteur, de son sexe, de sa santé, de son état émotionnel). Nous l’avons constaté à plusieurs reprises avec nos informateurs siffleurs. Ce dernier aspect a été abordé de manière systématique dans deux études sur les langues sifflées par Busnel (1970) et Busnel et Classe (1976). Ils ont identifié dix facteurs paralinguistiques de la voix parlée et trois ont été testés sur les siffleurs : le sexe, l’age et l’identité du locuteur qui semblent être les plus résistants, même si des performances inférieures à la voix sont obtenues. De telles recherches méritent un approfondissement suivant la méthodologie déjà mise en place. Une extension aux autres facteurs comme la valence émotionelle nous paraît prometteuse car les siffleurs nous ont montré que c’est un paramètre qu’ils perçoivent facilement.

Le langage est souvent présenté comme porteur d’une redondance d’information afin de lutter contre le bruit. La particularité des langues sifflées de ce point de vue est de définir un cadre dans lequel cette redondance est réduite de manière ciblée, c’est leur intérêt principal pour tous ces domaines d’étude car les paramètres importants de la parole humaine y sont sélectivement soulignés de manière évocatrice.