F. Deux expériences sur l’intelligibilité

F.1. Analyse pilote en pays Mazatèque

De l’intelligibilité de phrases Mazatèques à plusieurs distances

Au cours de notre travail de terrain, nous nous sommes rendu compte que la dégradation de l’intelligibilité des siffleurs semblait ne pas être linéaire. L’observation de ce phénomène n’est pas évidente car elle est perturbée par le fait que les siffleurs modifient leur technique et leur puissance de sifflement avec la distance. Malgré tout, à partir d’une certaine distance de communication, le siffleur émetteur est au maximum de sa puissance d’émission alors que le siffleur récepteur peut encore reculer sans rien perdre au niveau de l’intelligibilité des phrases. Pour confirmer le bien fondé de cette constatation, nous avons mené une expérience perceptive simple avec deux siffleurs de la Sierra Mazatèque :

Nous avons demandé à un père et son fils de dialoguer dans un même lieu à trois distances différentes : 50 m, 300 m et 550 m. Or, en Pays Mazatèque le sifflement sert à courte distance (5 à 100m) et à distance moyenne (de 100 jusqu’à 500m). Seules deux techniques sont utilisées dans cette région : avec les lèvres à courte distance ou avec un sifflement labiodental à moyenne distance. A partir de 300m les siffleurs sont en général au maximum de leur puissance d’émission avec la technique labiodentale, mais suivant la topographie l’interlocuteur peut percevoir le message jusqu’à plus de 700 m. Dans le cas de l’expérience que nous avons menée, la mesure du taux d’intelligibilité était très rudimentaire mais a permis d’obtenir des résultats intéressants. Un expérimentateur était situé à côté de chacun des siffleurs et enregistrait les phrases dites avec un appareil Minidisc. Afin d’avoir un contrôle précis, le siffleur situé à distance devait poser une question à l’expérimentateur posté prêt de son interlocuteur. A chaque fois que l’un des interlocuteurs faisait répéter la phrase qui venait d’être énoncée, la phrase était jugée comme non comprise. Une vingtaine d’échanges ont été enregistrés à chaque distance. Après comparaison et traduction des enregistrements avec les siffleurs, nous avons constaté que toutes les phrases non répétées étaient bien comprises. Le taux d’intelligibilité des phrases s’est révélé être le même à 300m et à 550 m. Pourtant les signaux de parole sont largement plus dégradés à 550 m qu’à 300 m. Cela signifie que la dégradation de l’intelligibilité avec la distance n’est pas linéaire.

Cette expérience qui mériterait d’être menée de manière plus rigoureuse confirme que comme pour la voix parlée, la dégradation du signal de parole sifflée n’entraine pas immédiatement une dégradation du taux d’intelligibilité.

Nous avons constaté un autre phénomène intéressant à cette occasion : alors que les expérimentateurs étaient tous les deux ignorants de la langue Mazateque sifflée, ni l’un ni l’autre n’a eu l’impression que le signal sifflé étaient plus bas à 550m qu à 300m. Ceci semble indiquer que mis en condition de communication, le cerveau corrige en fonction de la distance perçue, ce qui montre son grand pouvoir de préhension même avant l’étape de décodage linguistique.