F.2. Les expériences révélatrices des Warren

Effets de transformation verbale et de reconstruction cognitive de la parole

Les expériences des Warren (1970) sur les illusions et les confusions auditives de mots anglais font partie des études classiques portant sur la reconstruction cognitive de la parole. Nous la décrivons rapidement ici en reprenant une description de Busnel (1974b) à laquelle nous ajoutons quelques éléments:

Si on écoute en boucle répétitive sans silence un très bon enregistrement d'un mot ou d'une phrase, sans autre contexte, il apparaît assez rapidement une illusion perceptive qui fait comprendre d'autres mots que ceux enregistrés. Tout mot ou toute phrase dans ces conditions est sujet à produire des illusions, avec des distorsions phonétiques considérables et fréquemment avec des associations sémantiques. Ces mots illusoires sont perçus auditivement et centralement, ils sont intelligibles et les sujets trouvent difficile de croire qu'ils ont entendu un mot ou un signal isolé répété sur la boucle enregistrée. Par exemple: un sujet écoutant le mot « tress » répété sans silence entend et comprend distinctivement après quelques minutes, des mots illusoires tels que: « dress, stress, joyce, floris, florist, purse ». Cette illusion a été appelée par ces auteurs : « effet de transformation verbale »; elle met bien en relief que l'intelligibilité s'émancipe facilement de la physique du signal. Ils ont de plus montré que l'âge du sujet avait des incidences importantes sur les résultats quantitatifs obtenus dans la mesure de ces « illusions acoustiques »; ceci reflète que les processus d'analyse centraux changent avec l'âge; les enfants de cinq ans n'ont que peu ou pas de transformations verbales. A six ans des enfants entendent les illusions, et les plus âgés de cette tranche d'âge les obtiennent le plus vite. A huit ans, tous les enfants les ont. Le taux de ces illusions reste à peu prêt constant jusque vers les vingt ans et décline ensuite progressivement, et pour les sujets de plus de 65 ans, le taux d'illusions est seulement de 1/5ème de celui des jeunes adultes, soit approximativement égal à celui des enfants de six ans. Il n'y a cependant aucune corrélations avec une perte auditive.

Il est également intéressant d'observer les mots perçus pour déterminer quelles sont les unités d'organisation perceptuelles utilisées par les sujets. Les enfants répondent par des sons de langue anglaise, mais peuvent les grouper dans des associations qui n'existent pas dans cette langue. Par exemple avec le mot « tress » un enfant comprendra le mot « sreb » bien que la séquence initiale « sr » n'existe pas en anglais. Le groupe de jeunes adultes assemble les sons seulement selon les règles de l'anglais, mais ils reconnaissent des syllabes sans signification. Avec « tress » il signalent « tresh ». Les sujets plus agés au contraire ne donnant que des vrais mots de la langue. Ils entendent presque continuellement le mot « tress » et si des illusions apparaissent, ils percoivent des formes proches comme « dress ». Il est très intéressant de signaler, que si , à ces mêmes sujets âgés on donne la répétition d'un mot sans signification (« flime » par exemple), ils le déforment en le rapprochant d'un mot de la langue anglaise courante comme « slime » et tendront toujours à rester à des mots illusoires ayant un sens.

L'absence du phénomène d'illusion à cinq ans suggère que les jeunes enfants n'ont pas atteint le niveau de l'apprentissage du langage dans lequel la mémorisation est associée avec les possibilités de combinatoire. Les sujets âgés qui résistent à l'illusion auditive montrent qu'ils n'ont plus les capacités fonctionnelles de ce mécanisme qui doit être associé à la mémoire instantanée qui, ont le sait, est moins efficace chez les sujets âgés quand une tâche requiert l'usage du contexte. En effet comme le font remarquer les auteurs de cette étude, la tâche de la reconnaissance de mots fait intervenir un temps de latence qui correspond à la perception de l'intelligibilité grâce au contexte et à l'intégration de la réponse dans une action motrice. Ils vérifièrent cette affirmation lors d'autres expériences en remplacant certains phonèmes de mots par du bruit. En général les performances d'intelligibilité des mots ne sont pas atteintes par ce phénomène, sauf dans le cas où le phonème brouillé laisse plusieurs possibilités d'interprétation du mot. Mais si le mot est placé en contexte lexical dans une phrase, alors l'interprétation est toujours exacte (Warren 1970).